Chapitre 9. La farandole des dissonances.

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Pierre.

***

J'ai un cœur d'artichaut. J'aime tout le temps et bien trop facilement. C'est une formidable capacité qui me permet de m'attacher aux gens, d'être sociable.

L'exact opposé de Paul, qui n'a jamais été amoureux de personne. J'ai même cru un jour qu'il serait célibataire à vie. C'était avant qu'il ne couche avec Eden. Une nuit, il y a un an, parce que la belle populaire et le brun ténébreux semblaient être un duo qui allait de soi. Parce qu'ils se sentaient un peu obligés de franchir ce cap ensemble, que cela paraissait être la chose à faire. Autant spoiler la fin de l'histoire tout de suite : selon eux c'était une soirée cool mais après deux bons fou-rires, ils étaient redevenus les deux amis qu'ils ont toujours été et seraient toujours. Si vous voulez mon avis, c'est tant mieux.

En fait, je suspecte Paul de nous aimer nous, la bande des cornichons, plus que tout et de craindre à tout instant de nous perdre, sous ses grands airs tranquilles. Avant, ce n'était que lui et sa sœur. Avec mon arrivée, celles d'Eden et d'Iris au collège, puis Mathieu et enfin celle de Lila, la famille s'est agrandie. Et Paul craint qu'avec le temps et ses ravages, avec l'âge adulte qui s'approche et tout ce que cela inclut, elle ne s'évanouisse.

Mais moi, je crois qu'elle y survivra — et que le premier qui râle à cause du "moi je" aille se faire cuire une carotte.

Parce que l'amitié est une chose si précieuse que lorsqu'on trouve de vrais amis, peu importe les orages, les tempêtes, les séismes et toutes les catastrophes naturelles qui pourraient bien arriver un jour ou l'autre, rien ne pourra les séparer. Et le ciel pourrait bien nous tomber sur la tête, je crois que la bande des cornichons s'aimera pour l'éternité.

Ad Vitam Aeternam !

Je devrais dire ça à Paul. Peut-être cela le rassurait-il. Mais il agirait comme toujours : un coup à l'arrière de mon crâne pour faire résonner toutes mes pensées à peine fleuries et une remarque bien sentie pour dissimuler ses sentiments. Mieux vaut m'en tenir à mon rôle de blagueur et de dragueur invétéré. Mon meilleur ami découvrira par lui-même que rien ne pourra jamais nous séparer. Pas même les dissonances en farandole qui nous hantent tous.

Parce que nous avons tous nos secrets. Et je crois bien que le mien, ou plutôt celui que je partage avec la jumelle, pourrait bien fragiliser nos liens à défaut de les détruire.

— Qu'est-ce que vous voulez faire maintenant ?

La voix basse d'Ali me tire de mes réflexions. J'avoue être perdu face à la multitude de choix qui s'offre à nous. Cette fête foraine représente pour mes yeux de vieil enfant un certain paradis. Paradis peuplé de saints, puisque Mathieu, Paul et Pierre sont des noms de saints. Mais je ne pense pas que cette réflexion constitue une véritable réponse – d'autant plus que je n'ai rien d'un saint – alors je préfère m'exclamer, trop joyeux :

— Tant qu'on ne retourne pas dans une attraction qui fait peur... et qui serait susceptible de me tuer, je suis partant !

Elle me jette un étrange regard avant de soupirer, d'une amabilité qui me surprend :

— D'accord, si tu veux. Il y a toujours la pêche aux canards.

— Hors de question qu'on fasse ça Ali', tu gagnes à chaque fois ! intervient Paul.

Elle lui tire la langue, l'ombre d'un doux sourire se profile sur ses lèvres. Elle est belle quand elle sourit. J'aimerais le lui dire. Mais je préfère éviter de me retrouver fusillé par ses yeux gris. Pour une fois qu'elle semble moins prompte à me haïr. Peut-être l'effet de la fête foraine ? Elle a presque l'air joyeuse. La preuve c'est qu'elle m'adresse la parole. Et au fond de moi, j'en suis heureux. Parce que malgré mes erreurs je tiens toujours à elle.

À nos joies !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant