À nos joies !

Chapitre 14 : A nos joies...

Paul

***

Je vois rouge. Rouge comme la haine, comme le sang, comme la peur. Je ne me contrôle plus. L'éternel calme qui me caractérise s'est volatilisé en l'espace d'une fraction de seconde. Je suis terrorisé. Bouillant de rage. Parce que je comprends. Tout.

C'est de sa faute si l'état d'Ali s'est empiré. C'est à cause de lui que le peu de confiance en elle qu'il lui restait s'est envolée ! Pierre. Mon meilleur ami depuis la sixième. Un des êtres que j'aime le plus au monde. Et il a fait souffrir ma jumelle, la moitié de mon cœur...

Je me rappelle encore toutes ces fois où nous nous sommes disputés parce qu'elle refusait mon aide. Quand je voulais la faire manger. Quand je voulais lui parler. Parce qu'elle refusait de me dire pourquoi est-ce qu'elle pensait toutes ces choses horribles. Pourquoi elle pensait qu'elle n'était pas assez mince, pas assez belle, pas assez intelligente, pas assez bien. Pourquoi elle laissait toutes les injonctions de cette fichue société bousiller sa confiance en elle. Pourquoi elle ne s'aimait pas alors qu'à mes yeux, elle était juste la plus belle personne au monde. Pas parfaite. Mais merveilleuse.

La rage m'aveugle, elle annihile toute maîtrise de moi. Pour la première fois depuis une éternité, je la laisse exploser, tout ravager. Sans plus me retenir je me jette sur Pierre, mon poing venant percuter son visage dans un coup empli de fureur. Sous le poids de mon élan, nous basculons au sol alors que je fais preuve d'une véritable violence. Face à mes attaques, le rouquin ne réagit pas.

Il ne se débat même pas.

— Arrête Paul !

Ali me pousse avec toute la force qu'elle possède, parvenant à me faire lâcher prise. Elle me fixe un instant, ses prunelles grises brillantes de colère. Colère contre moi, contre Pierre, contre elle-même. Je voudrais juste la prendre dans mes bras pour la rassurer, pour me rassurer. Me calmer. Mais elle se tourne vers Pierre et lui tend la main pour l'aider à se relever. Celui-ci me dévisage. Son arcade sourcilière saigne et son si charmant visage commence déjà à se tâcher de bleus. Cependant le regard qu'il me lance est peiné. Juste peiné. Ce regard me désarme un bref instant et je baisse la tête, prenant conscience de mon geste.

Au même moment, Iris et Mathieu surgissent, paniqués. La petite blonde semble au bord de la syncope.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

J'ouvre la bouche à la recherche d'une explication. Mais les mots me manquent pour décrire la situation. Tout semble avoir perdu de son sens. Ma sœur finit par prendre la parole de sa voix éraillée par l'émotion, rompant le silence :

— Un gardien !

— Je vais lui expliquer que tout va bien, s'affole Iris.

Elle qui déteste pourtant être confrontée aux formes d'autorités supérieures se précipite vers le gardien dans l'espoir de lui expliquer la situation et de nous éviter de sérieuses remontrances. Ses traits sont emprunts d'angoisse, mais elle aborde un visage d'ange tout en dissimulant à grande peine sa panique afin d'inciter le grand gaillard à se montrer un tant soit peu gentil avec les sales gamins que nous sommes.

Au loin, j'aperçois Lila et Eden qui se faufilent à travers la foule. L'expression de stupéfaction qui s'affiche sur les traits de la brune vaut son pesant d'or. Elle se tourne vers moi alors que ses yeux glissent sur mes mains. Cette fois-ci la stupéfaction se transforme en inquiétude. Ses prunelles sombres plongent dans les miennes, comme si elle cherchait à comprendre le pourquoi du comment. Pris sur le fait. La honte me gagne. Je ne suis pas un personnage violent. J'ai même horreur des bagarres. D'ordinaire, je suis calme, tranquille... Pourtant, chaque fois que ma jumelle est en cause, plus rien ne compte. Je perds le contrôle, je perds mes pédales. J'aimerais pouvoir l'expliquer. Mais je n'ai pas le temps de me défendre.