Chapitre 8. Les cris du cœur.

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Iris.

***

Une jeune femme d'une vingtaine d'année ainsi que son amie sont assises en face de nous, dans le wagon qui s'apprête à arpenter les pics et les creux du Caucase. Couramment, on appelle ça des montagnes russes. Mathieu semble avoir perdu un peu de son humour. Et de son assurance. Ses mains s'agitent, son regard vacille entre son pied droit, ma tête et son pied gauche. Comme moi lorsque je passe n'importe quel oral. Mais à cet instant précis, j'exulte, parce que, même si je ne le dis que très peu, une de mes passions a toujours été d'hurler de joie à vider mon nez, ma bouche, mes poumons, mon ventre de tout l'air qu'ils contiennent. Ce sont ces cris qui raclent la gorge, dévorent l'estomac, affament les poumons, assèchent les lèvres, ces cris dont meurent le son, et qui le font mourir. Ce sont ces cris-là que je rêve de libérer, un jour.

La voyant pâlir, je demande à la petite tête blonde assise à mes côtés :

- Tu me dis si ça ne va pas, Mathieu !

- Oui, oui, tu me connais, quand j'ai peur, je ris, me rappelle-t-il ; en même temps que les coins de ses lèvres s'élèvent.

- Oui, mais le problème avec toi, c'est que tu ris aussi quand tu vas bien, alors j'ai du mal à savoir, parfois.

Un « bip » sonore retentit, annonce le début de ma joie et le commencement de la peine de Mathieu. De son rire timide, il me confie :

- Iris, je crois vais être malade, si je ne le suis pas déjà, et j'ai peur...

- Toi, peur ? Il ne faut pas voyons ! Tout va bien se passer Mathieu !

- Iris, peux-tu me promettre que si je meure, tu diras à ma mère que je l'aime, et que la réponse à ma devinette d'il y a quatre jours sur l'eau de Javel et les éléphants, c'est le feutre rouge ?

Les éclats de nos rires se brisent soudainement en cris de terreur, sous l'effet de la surprise crée par la vitesse folle du wagon dans lequel nous sommes. Je laisse mon corps hurler, mon cœur exploser, mon cerveau s'évanouir. Laisser flotter dans l'impossibilité de réfléchir, pour quelques instants. Pouvoir oublier toute la pression sociale, abandonner toutes mes règles, tous mes principes. Obliger mon cerveau à se taire, laisser mes poumons hurler. Mourir presque de bonheur. Abandonner mes codes, mes peurs. Tout cesser. Tout suspendre pour l'éternité contenue dans une seconde. Suspendre cette éternité. C'est ce que je recherche, dans les montagnes russes, ce que je recherche ce soir. Mon estomac me menace de recracher les sucreries que Mathieu vient de me faire avaler, mes jambes tremblent, bien que j'essaie de les contenir avec mes mains, qui bientôt me lâchent, elles aussi. Je ne sais plus vraiment si nous montons ou descendons, mon cerveau n'a pas assez de temps pour appréhender et comprendre quoique ce soit. Ma cage thoracique se serre, s'ouvre, se ferme, ma tête est enivrée, dépassée par ce manège, j'ai chaud, et je sens que je transpire, dans le creux de mon cou, dans la flexion de mes genoux. Le seul point stable qu'il me reste, c'est ma colonne vertébrale. Alors que le train enchaîne ascensions et chutes, Mathieu me lance, désespéré :

- Iriiis, je meurs !

- C'est très bien, ça t'empêchera d'avoir peur !

Arrivé au sommet, c'est la descente qui commence. Descente aux Enfers pour Mathieu, mais pour moi, ce sont les portes du paradis qui s'ouvrent !

***

- Je ne refais plus jamais ça, lâche Mathieu, dans un soupir.

- C'était si terrible que ça ? je lui demande, dans un sourire.

Sans attendre sa réponse, je détache la ceinture qui me maintenait en vie, et nous sortons de l'attraction. J'étire les muscles de mes jambes et nous commençons à marcher.

À nos joies !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant