Aliénor
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Je suis une gentille fille. Si, si, je vous l'assure. Parfois naïve. Un peu comme une princesse Disney. Mais je suis loin, très loin d'en être une. Jasmine aurait faire fuir Aladin si elle portait les mêmes vêtements que moi. Et tant mieux, les voleurs doublés de menteurs ne méritent que de se faire avaler par un serpent géant. Non, je suis plutôt la grosse vilaine. Une Jafar au féminin, une Maléfique sans pouvoirs, une Méchante Reine sans beauté et une Cruella sans la moindre classe.
Je ne suis qu'Aliénor. Et ce, même si je porte le nom d'une reine qui doit se retourner dans sa tombe en me voyant, tellement je fais honte à son nom.
Maintenant, il vous est peut-être plus difficile de croire que je suis une gentille fille. Surtout lorsque je sors d'un manoir hanté avec un sourire béat sur les lèvres, perchée sur mes longues jambes. Encore un peu chancelante, je me suspends au bras de mon jumeau, qui resserre aussitôt sa prise affectueuse sur moi, me lançant un sourire qui m'est réservé.
Malgré son côté parfois trop surprotecteur, j'adore Paul. De tout mon cœur, de toute mon âme et de presque tout mon être. Nous nous ressemblons tellement qu'il m'est parfois difficile de penser qu'un jour nos chemins se sépareront. Bientôt même, puisque nous passons le bac dans moins de trois mois... Il poursuivra sa vie, sans moi, et je suis censée en faire de même. Je ne sais pas lequel de nous deux est le plus terrifié par cette idée.
Nous sommes trop habitués l'un à l'autre. Depuis que nous sommes nés, nous arpentons cette Terre à deux. Paul ne va pas sans Aliénor et Aliénor ne va pas sans Paul. S'il part dans sa prépa littéraire et moi dans ma fac de socio, dans deux villes différentes, nous serions séparés pour la première fois depuis dix-huit ans. Pour la première fois de toute ma vie. Et peut-être pour toute la vie. Je sais que nous nous verrons, pendant les vacances, les week-ends... mais l'angoisse ne s'échappe pas de ma tête. Paul était – non, Paul est et sera toujours le seul rempart face à toutes mes idées noires. J'ai peur de ne pas réussir à lutter contre elles sans lui. Sans ma moitié. Certains parlent de la puissance de l'amour. Je crois qu'il n'y a rien de plus puissant au monde que ce lien qui m'unit à mon frère jumeau. Je crains que la distance ne le brise.
Chassant du mieux possible cette idée morose, je glisse :
— Je trouve que le manoir hanté que nous avions fait l'année dernière, pendant les vacances à Bordeaux, était bien mieux.
— Je ne sais pas... Il n'y avait pas de tronçonneuse dans l'autre... Et la tronçonneuse est un classique.
— Tu es trop exigeant Paul. Et puis, la tronçonneuse, c'est démodé.
— Et toi Pierre, tu en as pensé quoi ?
Nous nous tournons vers le rouquin jusque-là silencieux. Il est blême. Je mords l'intérieur de ma joue pour ne pas grimacer à la vue de l'adolescent qui est aussi mon ex, au passage. D'ordinaire, je parviens à cacher suffisamment mes réactions de rejet envers Pierre. Je suis douée pour dissimuler mes états d'âme. Pas autant qu'Eden.
Ce soir, mes nerfs sont à vif. Je ne sais pas s'il s'agit de l'ambiance de cet endroit ou d'un tout autre facteur surnaturel que je ne saurais expliquer, mais je me sens... Exposée. D'humeur changeante. Tout est amplifié. Ma joie comme ma peine. Mon amour comme ma haine. Mon extase comme ma rancœur. Et de la rancœur, j'en ai. Envers Pierre. Envers moi. Je connaissais pourtant le règlement par cœur...
Règle numéro 1 : ne pas sortir avec le meilleur ami de son frère jumeau. Ça porte la poisse.
Mon frère fronce des sourcils et lui donne un léger coup de poing dans l'épaule.
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À nos joies !
Short StorySept amis, Sept récits, Tous unis Cette nuit. La sublime garce, l'exubérante rejetée, le clown charmeur, l'artiste malin, la gentille timide, le brun ténébreux et la gothique complexée. Tel est le groupe atypique que vous pourrez rencontrer ce soir...