1/ Harmonie du soir

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« Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !

Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.

* *

Clémence Di Marzio

Le vent est frais. J'imagine l'eau de la Seine froide aussi. Elle réveillerait peut-être mes muscles engourdis. Elle refroidirait mes joues en feu. Elle me soulagerait probablement de la colère qui m'abrite depuis plusieurs heures.

Plusieurs heures que je fixe cette étendue d'eau sans rien faire. Je suis debout comme un piquet et je me demande encore comment je fais pour tenir ainsi sans tomber. Le froid du mois de décembre a pris possession de mon corps.

Plusieurs heures que mon téléphone ne cesse de vibrer dans la poche de mon manteau. Je sais qui c'est et je sais pourquoi il appelle. Seulement, je ne veux pas lui parler. Pas maintenant. Je sais que je lui dirai des choses que je ne pense pas, des choses que je regretterai dès que les mots auront franchi ma bouche. Alors je me retiens. Je me retiens de pas prendre ce foutu appareil niché au fond de mon manteau et de le balancer dans le fleuve face à moi.

Plusieurs heures que je devrais être rentrée. Je devrais être sous un plaid à mater une série Netflix avec Gibbs allongé devant moi. Je devrais boire une infusion aux fruits rouges et lui caresser le dos. Je devrais rire devant une comédie toute pétée ou pleurer telle une madeleine devant un film nunuche.

Mais ce soir, je suis là. Au bord de la Seine, une cigarette entre les doigts à me les geler.

Je renifle d'une façon peu glamour lorsque j'entends des talons taper contre les pavés parisiens. Je me retourne. Une silhouette approche de moi et si au premier abord je ne la reconnais pas, je m'en rends compte après que c'est Iris Samaras.

-Clémence ? demande-t-elle en fronçant les sourcils.

Je ne réponds pas. Que devrais-je dire ? Elle m'a reconnu. Je ne vais pas fuir, ce n'est pas dans ma nature.

Elle s'approche encore jusqu'à s'arrêter à quelques centimètres de moi. Elle me dévisage et je sais qu'elle a vu. Je sais qu'elle a vu mon visage rouge. Je sais qu'elle a vu que mon mascara avait coulé à cause des larmes. Je sais qu'elle a remarqué ma chevelure complètement décoiffée.

-Est-ce que ça va ? Elle secoue la tête se rendant probablement compte de son idiotie puis continue. Enfin non ça va pas, mais est-ce que tu as besoin d'aide ?

Je fais non de la tête.

C'est à mon tour de la détailler. Son visage semble si innocent et doux. Elle est si jeune. Ses cheveux bruns virevoltent au vent tandis que ses yeux bleus me scrutent. Je sais que je fais pitié à voir et j'aimerai courir loin. Son regard s'arrête sur la cigarette que je tiens entre mes doigts.

-Elle est pas allumée ?

Je secoue négativement la tête.

-Je sais. C'est une métaphore. J'ai arrêté depuis plusieurs années mais quand j'ai une envie, j'en prends une mais je l'allume pas. Je donne l'illusion.

Elle esquisse un petit sourire et acquiesce. En effet, j'avais arrêté de fumer deux ans plus tôt à la suite d'un évènement qui m'avait incité à arrêter cette connerie qu'était la cigarette. Seulement, par moment, et ce soir était un de ces moments, j'avais envie de fumer et de sentir la nicotine en moi. Alors dans ces moments-là, je sortais une cigarette que je tenais entre mes doigts et que parfois je portais à ma bouche, entre mes lèvres mais sans jamais l'allumer. Jusqu'à ce que l'envie passe.

Les Fleurs du Mal  // DEEN [TOME 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant