Prophéties

Chapitre 04

Journal de bord, 6 Février, année 125, seconde ère

La nuit vient de tomber les braséros brûlent plus fort ce soir. Je les dispose plus nombreux et ce depuis plus de trois jours. Si j'écris dans ce journal c'est pour Lise. Elle m'a presque supplié, la voir si faible me brise le cœur. Jamais je ne l'ai vu ainsi. Nous avons, en effet, une santé infaillible depuis notre naissance. Mais voilà trois jours, en pleine journée, nous avons été attaqués par un crocodile. Même si les anciens disent qu'avec les changements de notre planète, les animaux ont eux aussi grandi et gagné en force. En voir un de plus de sept mètres n'est pas une surprise pour nous. Ce n'est pas la première fois que nous devons affronter une telle bête. Mais voilà, il pleuvait ce jour-là et nous traversions une zone marécageuse. Malgré toutes nos précautions Lise, marchant devant, s'est faite surprendre. Moi-même je n'aurais rien pu empêcher. Nos réflexes et notre mode de vie nous ont sauvé la vie. Lise a rapidement pu s'échapper et nous avons réussi à en venir à bout tous les deux. Tachés de sang, nous avons immédiatement quitté les marécages, ma soeur m'ayant assuré qu'elle allait bien. Puis avons repris notre route, nous changeant en chemin. Quitter cet endroit nous a pris quarante-huit heures, ralentis par la boue, notre vigilance et la fatigue. Il était en effet hors de question de dormir là-bas. Les arbres n'offrent guère de meilleurs abris, les serpents étant tout aussi imposants et mortels. 

Puis à l'aube du troisième jour, nous avons débouché sur un petit bois et sa cascade. Nous étions dans une sorte d'oasis au milieu de cette forêt si dense. C'était la première fois que nous tombions sur un endroit sans danger. Les sacs à peine au sol, Lise s’évanouissait. Occupé à poser les braséros à l'orée du bois, je n’ai rien vu. Mais la sensation de panique qui m'a envahi brutalement a été ma sonnette d'alarme. Je l'ai appelé par la pensée tout comme Aly qui était à la barre. Elle seule m'a répondu et je me suis précipité vers ma sœur. Chassant la panique qui commençait à m'envahir, je me suis concentré sur la voix d'Aly qui venait de prendre la situation en main. Elle m'a aidé à examiner Lise et c'est là que nous nous sommes aperçus de l'état de son épaule. La force de l'animal lorsqu'il l'avait projeté contre cet arbre la lui avait démise. N'étant pas douillette, elle a simplement pensé à un hématome. J'aurais du le voir mais elle s'est parfaitement débrouillée pour nous le cacher. 

Lorsqu'elle ira mieux elle risque de m'entendre.

 Aly a fini par me dire que je devais remettre son épaule en place pendant qu'elle était  inconsciente. Qu'en général il fallait le faire immédiatement, avant que la douleur ne s'installe et que l'épaule ne se refroidisse. Mon amie m'avait prévenu que la souffrance serait intolérable et les plantes qu'elle me citait n'existaient pas chez nous. Je n'avais donc aucun moyen d'apaiser ma sœur. Nous avons pourtant nos propres remèdes, même si moins efficaces, qui aident tout de même Lise heureusement de forte constitution. Je me souviens l'avoir vu tomber de notre cabane dans l'arbre près de la maison et s'être cassé le bras. Elle n'a jamais pleuré alors qu'elle n'avait pas huit ans. 

Lorsque j'ai enfin eu le courage d'effectuer la manipulation expliquée en détail par notre maître guérisseur, je l'ai vu se réveiller en hurlant. J'ai immobilisé son bras, le coeur serré puis l'ai prise dans mes bras. Quelques larmes silencieuses ont coulées et Kam s'est réveillé en sursaut. Lise était en effet incapable de maîtriser le lien et ses sensations. Nous avons tous ressenti sa douleur alors qu'elle avait rapidement prit sur elle par pur réflexe lorsqu'elle s'était rendu compte de ce qui se passait. 

Elle dort à présent mais la fièvre est apparue le soir même. Aly m'a assuré que c'était normal dans les premières étapes de la guérison. Nous allons perdre trois jours de voyage mais nous avons ce camp et c'est une véritable chance. 

Derrière la cascade se trouve une grotte: au moindre problème, au moindre affaiblissement de ma part, j'y déplace ma sœur. L'eau ne lui fera que du bien, Aly me l'a également assuré lorsque je lui ai décrit les lieux. Elle ne connaît pas nos plantes et je sais que cela l'a fait enrager mais elle a reconnu les pierres de lave au fond et m'en a cité leurs propriétés.

~ Comment va Lise ce soir?~

Kam était à la barre, ils s'approchaient de la colonie.

~ Elle vient de s'endormir mais elle a pu manger de la soupe et boire l'eau de la source.~

Nate marqua un temps d'arrêt, Kam attendit, patient.

~Si Aly n'avait pas été là...~

Il força soudain ses pensées à ne pas dériver. Inutile de penser au pire. Lise serait sur pied d'ici vingt-quatre heures et Aly leur avait conseillé de prendre une journée de repos supplémentaire. Les jumeaux n’avaient pu qu'approuver sachant qu’ils ne retrouveraient peut-être jamais un tel endroit.

~ Elle est droitière?~

Les deux hommes savaient qu'il se passerait un peu de temps avant que Lise ne puisse utiliser son arc de nouveau mais il lui restait ses couteaux de chasse. Ainsi que sa petite arbalète qu'elle maniait aussi bien que Nate maniait son arc. Et c'était peu dire. 

~Lance nous a obligé à utiliser nos deux mains, heureusement.~

~ Ben a fait de même avec nous, vu nos conditions de vie s'était une bonne chose.~

Kam pensa à l'accident, malgré le don d'acuité de son ami, il n'avait rien vu venir. La pluie était trop importante et les marécages trop denses et sombres. C'est le don de Lise qui les avait sauvé, sa rapidité incroyable avait empêché le crocodile de la happer. Elle revenait de loin.

~ Sans sa vitesse elle serait morte. C'est d'ailleurs ainsi que notre maître a été emporté. Et nous pensions qu'il était le meilleur.~

Nate soupira et Kam su qu'il était temps de changer de sujet.

~Aly a une théorie sur tout cela justement.~

~ Oui nous en avons parlé et je pense qu'elle a raison.~

Nate sentit son ami approuver. L'évolution des hommes afin de survivre dans cet environnement si différent et souvent hostile était probablement l'explication la plus logique. Aly pensait que c'était ce dont parlait la prophétie. 

~ Un jour, une fillette s'est retrouvée coincée sous un rocher tombé d'une falaise de glace. Nous étions à deux heures du village avec un groupe d'enfants à qui nous apprenions nos maîtrises. Ma force a permis de la sauver. En temps normal, une telle roche aurait nécessité au moins trois hommes. Et sans Aly, la petite aurait succombé à ses blessures. Elle sait immédiatement en diagnostiquer les causes et trouver les traitements ou les remèdes.

Des histoires comme celle-ci, ils en avaient tous les quatre plus d'une. Leur dernière mésaventure ainsi que la tempête du Nord étaient de nouvelles preuves. 

Plus ils en discutaient et plus ils pensaient qu'Aly avait raison. 

Si les filles espéraient que d'autres étaient comme eux, quelque part. Les garçons, quant à eux, espéraient que leur chère mère la terre avait bien choisi ses candidats. La planète et leur civilisation avait assez connu de catastrophes. Ils avaient déjà fort à faire avec les milices et ces soi-disant gouvernements.