Retours de guerre

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Poirot regardait son assiette avec circonspection. De poulet rôti et de pommes sautées, il n'en était rien. Une poule bouillie et une purée de rutabagas ! Les anglais avaient une singulière idée de la gastronomie. Il serait plus qu'urgent d'envoyer Miss Blackstone à Bruxelles pour un petit stage culinaire...

Du rutabaga ! Quelle idée ! Nous n'étions fichtre plus en guerre. Poirot en avait avalé, du navet fourrager et des fayots, du riz, des patates et du pain composé d'une pâte de farine de blé cuite deux fois pour lui enlever toute humidité et lui permettre de conserver ainsi longtemps... Il en avait soupé du rudimentaire, c'était le cas de le dire...

A l'autre bout de la table, Amelia picorait. Ils n'avaient pas échangé un mot depuis qu'ils s'étaient retrouvés dans la grande salle à manger.

Poirot n'aimait pas cela. Il avait agi sur le coup de l'émotion dans le jardin d'hiver. Et ce n'était pas habituel. Il prenait toujours le temps de poser les choses, de structurer, d'analyser, de raisonner. Mais dès qu'il était question de cette jeune femme, ses cellules grises aussi puissantes fussent-elles ne lui servaient à rien.

Il regrettait. Lui avoir parlé de vieillesse et se comparer à son oncle... C'était idiot... Mais en même temps si proche de la réalité. Il était inutile de se bercer d'illusion...

Ses cheminements intérieurs furent interrompus par le bruit de la porte à double vantaux qui s'ouvrit.

- Mon oncle ? N'êtes-vous pas censé vous reposer ? grogna Amelia qui s'était levée.

- Ma chérie, tout va bien. Il en faut plus pour déraciner un vieux chêne comme moi...

- Diable, qu'avez-vous tous avec la vieillesse ?! soupira-t-elle se laissant retomber sur sa chaise et fixant son assiette.

- De quoi parles-tu ? s'étonna Lord Raoding qui n'avait pas assisté à la scène du matin.

- De rien... Comment te sens-tu ?

- Bien. Et je trouve des plus normal de partager le repas de ma nièce et de mon hôte... sourit-il alors qu'il avait tourné son regard vers le détective qui acquiesça poliment.

Son entrain prit du plomb dans l'aile quand il vit la poule et la purée déposées sur la table.

- ...Oh !... Miss Blackstone et ses vieilles recettes !... Je suis désolé. Je lui demanderai de palier ce soir. Un repas un peu plus festif... Au fait Amelia, quand dois-tu commencer ton stage à Londres ?

- Et bien, il débutera le 3 février...

- Il faut que l'on te trouve une bonne pension de famille. Quelque chose de sérieux et fiable...

- Je ne souhaite pas loger dans une pension de famille ! Tout n'y est que contraintes. Pas de bruit, des horaires militaires, pas de visites...

- Je sais que cela va te changer de l'Amérique et que tu as certainement très envie de t'amuser. Mais attention Londres peut être dangereuse. Ce n'est pas une simple bourgade comme l'est Durham. N'est-ce pas, mon ami ?

Poirot se figea. Depuis le début de cette discussion entre son hôte et la jeune femme, il priait pour ne pas être sollicité. A croire qu'il n'avait pas été entendu par le bon Dieu.

- Londres est la capitale. Une grande ville avec ses avantages et ses inconvénients. Il convient certes d'y être prudent mais je ne doute pas que Mademoiselle fera attention.

Amelia retint sa respiration. Ce "Mademoiselle" dans la bouche de Hercule lui faisait l'effet d'une lame lui transperçant le cœur. Il était clair que le détective l'éconduisait.

- Oui... en effet. Il faut donc te trouver quelque chose dans un quartier respectable. Je regarderai...

- Tu sais, Maman et Papa m'ont laissé de quoi payer un loyer. Je te remercie de ton aide... Mais je veux m'assumer.

Poirot : Une Pause À Helmsley (1ère Partie)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant