Des yeux de biche

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Anny Walsh était née le 17 mars 1903 à Donore, un petit village à quelques miles de Drogheda en Irlande. Ses parents, de simples fermiers avaient été emportés par la fièvre typhoïde en 1918. Fille unique, mineure, Anny avait été confiée à ses oncle et tante qui étaient installés à Pocklington, dans le West Riding.

A peine majeure, elle avait été priée de rechercher un emploi. Et la voilà qui débarquait en plein centre-ville de Londres chez les riches Pritchard.

Poirot retira son pince-nez et fixa la petite danseuse exotique en bronze de Colinet posée sur l'étagère.

Comment une orpheline de pauvres paysans du fin fond de l'Irlande, parachutée dans le West Riding avait- elle pu trouver pour premier emploi une place de bonne chez une famille londonienne aussi aisée ? Quelque chose clochait.

Il se surprit à suivre du regard les courbes et les formes si gracieuses de la statuette qui était exposée là depuis des années. Il n'y prêtait plus guère attention depuis le temps. Elle lui avait plu bien entendu puisqu'il en avait à l'époque fait l'acquisition. Mais c'était surtout par souci d'appartenance à une certaine classe culturelle et par orgueil chauviniste. Une sculptrice née à Bruxelles et qui avait la cote. Mais maintenant, il voyait l'œuvre sous un angle tout autre.

Il respira profondément. Son œil aguerri fut attiré par le chambranle de la porte menant à l'entrée. Hastings venait de passer rapidement.

- Vous partez, mon ami ?

- Et bien oui, Poirot. répondit le capitaine qui revenait sur ses pas vêtu de son manteau bleu anthracite.

- Une soirée en ville ?

- J'emmène une amie à Covent Garden... Cela était prévu de longue date et je ne savais avant ce matin que vous rentreriez... Voulez-vous que j'annule ?

Poirot ne se faisait pas d'illusion. La proposition de son ami tenait uniquement de la politesse et Hastings devait alors prier pour qu'il lui réponde par la négative.

- Bien sûr que non, voyons ! Allez rejoindre votre amie.

- Bien. Je vous souhaite une bonne nuit. A demain, Poirot !

La porte claqua et le détective se retrouva seul dans son grand appartement silencieux.

Il en avait l'habitude. Il chérissait cette solitude !

La solitude est l'élément des grands esprits, comme disait la reine Christine de Suède. Mais ses esprits, Poirot les avait un peu perdus. Il avait dû faire maints efforts pour se concentrer sur l'affaire Pritchard, pour ne pas penser à Amelia... surtout depuis son appel.

Pourtant Dieu sait que ce fin limier ne se sentait plus lorsqu'il fallait débusquer un quelconque assassin. Mais tout était chamboulé, perturbé !...

Il se leva de son bureau et alla allumer le transistor. Un air de jazz en sourdine égaya la pièce faiblement éclairée. Il poussa jusqu'au buffet et se versa un verre de brandy avant de se laisser tomber dans le canapé.

***

Lady Jasmine était charmante dans sa robe de mousseline rose. Hastings avait fait sa connaissance quelques jours auparavant à Swansea lors du deuxième match de la saison du tournoi des cinq nations, Pays de Galles-Angleterre.

Très vite, ils avaient sympathisé sous le grand barnum chauffé et réservé aux VIP. Ils étaient tous deux de Londres en déplacement sur la côte du canal de Bristol.

Ils avaient échangé leurs coordonnées. La représentation du ballet Les biches de Nijinska était l'occasion rêvée de se retrouver et de passer un agréable moment ensemble.

Poirot : Une Pause À Helmsley (1ère Partie)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant