3 - Madame Rival

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Finies les sonneries à la fin des cours comme au lycée. A la fac, les étudiants étaient réglés comme des horloges et quittaient eux-même le cours. Du moins lorsque celui-ci semblait terminé.

Les conversations d'avant le cours reprenaient. Les rires, les agitations, tout revenait comme avant.

— Comme vous devez sans doute savoir, après les vacances de la Toussaint, un contrôle continu aura lieu. La deuxième semaine de reprise, plus exactement. Le devoir portera sur les cours dispensés jusqu'à aujourd'hui et comptera pour 25% de la note semestrielle finale. Je vous conseille donc de préférer les révisions aux fêtes durant la semaine à venir.

Alors que madame Rival donnait quelques derniers conseils aux étudiants, les concernés, bien trop pressés de sortir, ne semblaient pas l'écouter. Cela dépitait un peu celle qui avait retenu l'attention de tout le monde durant près de deux heures. Parce que désormais, plus personne ne semblait la voir. Son heure de gloire était finie... C'était la dure vie des professeurs.

— Ah, Lysandre ? s'écria tout de même madame Rival en voyant la châtaine. Auriez-vous une minute ?

La jeune femme qui venait tout juste de passer devant le bureau du prof se stoppa. Cela faisait la deuxième année consécutive qu'elle suivait le cours de Rival et il n'était pas rare que son professeur lui demande des nouvelles concernant son projet universitaire.

Madame Rival avait commencé à s'intéresser à Lys le jour où cette dernière avait parlé de poursuivre en master et surtout en doctorat pour se tourner vers la recherche. Depuis lors, elle était en quelque sorte devenue la chouchoute de la brune au chignon parfait. Mais comme la concernée ne pouvait pas afficher ses préférences devant les autres étudiants, il était important pour elle d'être discrète et de feindre devoir avoir une conversation professionnelle.

— Oui madame Rival.

— Ce n'est pas peut-être que moi, mais il me semble avoir remarqué que vous étiez distraite aujourd'hui, déclara Rival après avoir observé le dernier étudiant sortir du petit amphi.

Pas tant que ça. Lys faisait toujours attention à être attentive en cours. Après tout, la plupart du travail se passait ici.

— Est-ce que tout va bien ? continua madame Rival en nouant ses doigts.

L'étudiante fronça les sourcils, surprise du tournant que prenait la discussion. Depuis quand les professeurs menaient des interrogatoires quand ils remarquaient une supposée errance d'esprit dans leur cours ?

Avec ses yeux clairs, son nez aquilin et son rouge à lèvre pourpre, son professeur d'Antique, Médiéval et Moderne était quelque peu déstabilisante. Son visage, malgré sa beauté, faisait froid. Pourtant, sa voix, plutôt douce, mettait à l'aise. Et c'était justement la contradiction que criait son allure toute entière qui perturbait.

Alors en plus, si elle commençait à poser des questions hors cours...

— Euh oui, tout va bien.

Madame Rival hocha la tête. Elle semblait s'être rendu compte de la gêne de son étudiante. Peut-être s'était-elle un peu immiscée dans la vie privée de Lysandre ? Cela n'avait pas été volontaire. Mais c'était la première fois que la jeune femme n'avait pas participé oralement à son cours. Et Lys avait paru contrariée. Les traits tirés de son visage l'avaient trahie.

Seulement, Lys n'avait certainement pas envie de se confier à son professeur. Après tout, elle n'était pas sa "pote".

— Très bien alors. Pardonnez mon indiscrétion. Je ne voulais pas... Je voulais juste m'assurer que tout allait bien.

Lys n'en voulut pas à madame Rival. Les profs qui s'intéressaient véritablement à leurs étudiants n'étaient pas très nombreux dans son cursus.

— Bonne fin de journée madame, souffla-t-elle dans un signe de tête.

— Merci, à vous aussi Lysandre.

La châtaine détestait lorsque l'on disait son prénom en entier. Mais comment aurait-elle pu demander à sa prof de l'appeler par son surnom ?

Lorsque la jeune femme sortit du bâtiment, la nuit menaçait de tomber. Lys n'aimait pas l'automne. Pas plus que l'hiver d'ailleurs. La végétation mourrait. Les températures chutaient. Et avec, le moral des gens.

La pénombre se faisait plus présente. Et c'était souvent dans cette dernière que les esprits les plus sombres se cachaient. Ou bien que les drôles d'échanges avaient lieu. Comme celui qu'eut Daphné dix minutes plus tard devant la voiture de madame Rival...

— On dirait bien que le froid arrive ! lança la brune, les bras croisés sur sa poitrine.

Cela faisait plus de cinq minutes que Daphné attendait, adossée contre ce poteau. Elle avait trouvé le temps long et avait songé à rentrer chez elle. Sauf qu'elle devait savoir. Elle devait savoir si ses doutes allaient être rejoints.

— Oh, Daphné. Je ne t'avais pas vue ! répondit Aline Rival en remettant ses lunettes sur son nez.

Ces dernières ne faisaient que glisser depuis midi. Il était temps qu'elle ait fini ses cours pour pouvoir les réparer, au calme et à l'abri.

— En effet, le froid arrive, continua la femme.

Daphné quitta son poteau pour traverser la petite route qui la séparait du professeur.

— Rien à noter ?

Malgré la quarantaine d'années d'Aline, Daphné paraissait bien plus impressionnante que la prof. Parce que Daphné avait un aura gigantesque. Pas seulement à cause de sa lignée ou de la renommée de ses parents. Mais aussi grâce à son fort caractère, dont personne n'avait douté.

— De légères rêveries. Elle n'a pas voulu se confier sur les raisons. Elle a trouvé étrange que je lui pose la question. Je crois bien que nous avons frôlé la catastrophe.

Tu as frôlé la catastrophe, la corrigea Daphné.

— C'est exact.

Un silence s'installa durant lequel Aline ne sembla pas quoi faire. Daphné réfléchissait à première vue. Se passait-il quelque chose ?

Madame Rival n'était pas des plus à l'aise, aussi, elle décida de parler d'autre chose :

— Dis-moi, tes parents s'occupent toujours du dîner des chanceliers ?

— Toujours.

Aline hocha la tête.

— Tu viens toujours ? la questionna à son tour Daphné.

Madame Rival sembla quelque peu rassurée. Elles changeaient véritablement de sujet.

— Bien évidemment. A moins que je n'y sois plus conviée.

— Tous les... sorciers, souffla Daphné après avoir lancé un regard aux alentours, sont conviés.

— Très bien, sourit légèrement Aline. Dans ce cas, je vais y aller. Tu passeras le bonjour à tes parents.

— Sans faute. Bonne soirée, madame Rival ! termina la brune en voyant un étudiant arriver au loin.

Le jour où plus aucun des siens n'aurait à se cacher serait le jour de la délivrance.

L'essence de Lys 1 - Le bal d'Adriel (Terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant