7 - Gaspard pour vous servir

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Lorsqu'enfin elle sortit du petit tunnel de la fumerolle, son souffle se coupa, car derrière ce nuage étouffant et inquiétant se trouvait la plus belle pièce qu'elle n'avait jamais vue.

Le hall au sol de marbre avec en son milieu, un magistral escalier central de bois sur lequel un large tapis assorti à la couleur foncée du matériau reposait, était magnifique.

— Bienvenue au bal d'Adriel très chère, lança un homme non masqué à sa gauche.

Le visage légèrement tourné vers le plafond, il ressemblait à un majordome, même si Lys trouvait qu'il avait quelque chose de différent. Quelque chose qu'elle n'arrivait pas à nommer.

— Gaspard pour vous servir, termina l'homme en lui adressant un léger signe de tête.

La jeune femme ne sut quoi répondre et se contenta d'un rapide sourire crispé.

Sa visite continua et Lys s'engagea dans l'escalier. Son regard arpenta les murs sur lesquels des portraits trônaient. Il s'agissait toujours de la même personne : un homme, masqué, qui souriait fièrement.

Malgré sa réserve, c'était désormais la curiosité qui animait l'esprit de Lys. Alors qu'elle aurait dû être encore effrayée, elle comprit que quelque chose lui échappait : ses émotions. C'était comme si elle ne pouvait plus les contrôler. Encore consciente de ces dernières, elle ne pouvait plus que les ressentir sans pouvoir en comprendre leur origine. Plutôt déstabilisant mais follement jouissif à la fois, elle se sentait perdre pied petit à petit.

Lorsqu'elle franchit le seuil de la grande porte face à l'escalier, elle eut la confirmation de sa pensée : Lys n'était plus vraiment elle-même, la jeune femme était contrôlée par quelqu'un, comme tout le monde ici. Voilà qui expliquait l'allure robotique de Mélodie ainsi que toutes les personnes à ses côtés.

D'ailleurs, si Lys ne se trompait pas, le fameux « il » tant redouté était le responsable de tout cela. Le fameux « il » était l'homme sur les portraits et le fameux « il » s'appelait certainement Adriel. Si la jeune femme n'avait pas réagi tout à l'heure lorsque le drôle de majordome avait prononcé son nom, elle réalisait soudainement qu'il faisait partie du titre de l'ouvrage que Mélodie lui avait donné : « Le bal des monstres d'Adriel ».

Bien que cela puisse paraître incroyable, on dirait que je rêve ou suis entrée dans ce livre, se dit-elle et son visage perdit le peu de couleur qu'il lui restait car Lys n'avait pas réussi à décrypter ne serait-ce qu'une seule ligne de ce dernier et ne pouvait ainsi malheureusement pas savoir ce qui l'attendait.

Le contrôle de ses émotions lui revint soudainement.

La peur l'empoisonnait désormais.

Cependant cette dernière ne dura pas dans le temps et cela s'expliquait peut-être par le fait que quelqu'un l'avait poussée et que la jeune femme avait fait un pas dans l'immense salle. Sûrement était-ce cette dernière qui la privait de ses réflexions. Elle semblait agir ainsi sur toutes les personnes présentes. Les gens ne paraissaient plus jouer la comédie. C'était comme si le sentiment qu'ils voulaient autrefois faire paraître venait de les gagner véritablement.

Si cette étrangeté et cette effrayante atmosphère causaient sa curiosité au fond d'elle, en surface, son souhait semblait vouloir se répéter sans fin : elle souhaitait se réveiller et quitter cet univers certes majestueux mais peu rassurant.

Alors qu'elle s'apprêtait à rebrousser chemin, cette fois-ci avec la ferme intention (dont l'origine lui échappait toujours) de rejoindre la forêt, les gens autour d'elle semblèrent former une prison. Était-ce son imagination ou bien ces personnes devenaient véritablement des chaînes humaines ?

— Que le bal commence ! déclara une voix masculine parmi la foule, une voix forte et assurée, une voix diablement charmante.

Lys eut beau se mettre sur la pointe des pieds, elle ne parvint pas à voir l'homme qui venait de parler. Un pincement au cœur incompréhensible la prit alors. Ce ton, différent de tous ceux qu'elle avait pu entendre, avait suscité en elle une grande attention.

Pourtant, quelques secondes plus tard, elle fut incapable de trouver une explication à sa précédente réaction. Ce n'était pas les sons qui réveillaient l'intérêt chez la jeune femme mais plutôt le visuel. Alors pourquoi s'était-elle sentie obligée de regarder celui qui avait parlé ? Pourquoi avait-elle eu l'impression d'appartenir à ce dernier ?

Dix secondes supplémentaires et ses questions s'étaient évanouies. Si Lys avait oublié ses réflexions, c'était essentiellement car on venait de la bousculer, une nouvelle fois. Il s'agissait de la grosse femme à la robe noire. À ce constat, la jeune femme la regarda plus attentivement. Malgré le fait qu'une partie de son visage était cachée avec son masque, elle remarqua l'énorme grain de beauté sur sa joue. Pour une raison qui lui échappa, cela lui donna la nausée.

Bien que gênée par sa tenue et le peuple autour d'elle, Lys réussit à faire demi-tour. Sa lucidité semblait vouloir la regagner par fraction de secondes. Son objectif de fuite reprenait.

Enfin prête à passer la grande porte, elle s'apprêtait à emboîter le pas lorsqu'elle réalisa que cette dernière avait disparu. Elle avait été remplacée par un mur. Quelque peu perdue face à ce changement, elle déglutit.

— Vous ne devriez pas rater la première danse très chère ! lança Gaspard, le drôle de majordome.

La dernière fois qu'elle l'avait vu, il se trouvait en bas des marches. Comment avait-il fait pour rentrer dans la salle puisque celle-ci ne comportait désormais plus de porte ?

C'était une situation complètement absurde !

La douleur lorsque ses doigts avaient été écrasés par les souliers avait été intense et sa main aurait dû garder son aspect estropié, or ses doigts étaient actuellement intacts. Quelque chose lui échappait...

Quelque chose d'essentiel.

Lys s'était fatiguée en jonglant entre rêve et réalité. Elle était épuisée de réfléchir mais surtout de ne pas trouver de réponses sûres et logiques. Elle nageait dans un océan d'incompréhension et son cerveau tentait vainement d'expliquer ce qui n'était pas explicable justement. C'était un des plus grands défauts de Lys. Elle avait horreur de devoir laisser le dernier mot à l'incertitude.

La jeune femme avait toujours ressenti le besoin de justifier chaque chose qui se passait sous ses yeux, de rationaliser, d'étiqueter puis de classer pour organiser son monde afin de se rassurer.


L'essence de Lys 1 - Le bal d'Adriel (Terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant