6 - Le lapin en retard

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Lys n'avait jamais fait de crise d'angoisse pourtant à l'instant, elle était sur le point d'exploser. Elle perdait complètement le contrôle. Et alors qu'elle s'apprêtait à répéter son souhait, une bâtisse se dessina sous ses yeux.

Cela commença d'abord par les fondations.

La dalle de l'ensemble du bâtiment.

Les murs du corps de logis.

Les murs des ailes.

Puis le manoir enfila sa parure Victorienne.

Cette curieuse et impressionnante construction n'avait duré que quelques secondes. Le regard fixé sur la tourelle, la jeune femme avait l'impression que l'air venait de déserter ses poumons. Comment une telle chose était possible ?

Lys n'eut pas le temps de plus se questionner sur le sujet car la cohue l'emporta avec elle. Les gens à ses côtés avaient subitement changé de comportement. La peur les avait désertés pour laisser place à l'excitation. L'étudiante ne comprenait pas ce changement émotionnel qu'elle ne partageait pas.

Elle entendait désormais des exclamations d'impatience et des louanges sur celui qui arrivait. Pourtant, malgré cet air festif, Lys eut l'impression d'avoir affaire à des comédiens, de mauvais comédiens d'ailleurs. Le sourire de la robe noire semblait faux. La voix de l'homme à sa droite semblait sur le point de passer de la joie à la panique. Tout ceci était affreusement surjoué.

Seulement la jeune femme n'eut pas le temps de songer plus longtemps à la situation car toujours prisonnière de la foule, elle se retrouva obligée d'avancer vers le manoir.

On aurait pu croire que ce dernier grandissait au fur et à mesure. Malgré la magnificence de l'architecture Néo-gothique associée au style Queen Anne, la froideur des lieux le rendait diabolique. Les corbeaux qui faisaient étrangement la ronde autour de la bâtisse en croassant de plus en plus fort, le reflet de la Lune dans les grands vitrages de la demeure, la gigantesque porte ornée et sculptée tout sauf accueillante avec sur le battant gauche son heurtoir décoré par une main aux doigts crochus, les gargouilles dragons de chaque côté des escaliers larges qui menaient à l'entrée, tout l'effrayait. Pourtant elle semblait être la seule à être dans cet état.

À moins qu'une fois de plus, les gens fissent semblant.

Lys se débattit face à la vague sombre qui l'emportait, jusqu'à ce qu'elle croise un regard. Dès lors, son visage se figea. Elle reconnaissait ces prunelles grises et cette chevelure de feu. Malgré le masque de plumes qui cachait une partie du visage fin de la jeune femme, elle su qu'il s'agissait de sa camarade de résidence.

— Mélodie ! cria-t-elle.

Mais la concernée ne la remarqua pas et continua à avancer tel un robot. Pourquoi rêvait-elle d'elle ? C'était la deuxième fois. Cependant c'était la première fois qu'elle faisait un rêve pareil.

— Mélodie ! s'écria-t-elle une nouvelle fois.

Ses appels furent vains. Alors Lys s'attarda sur chaque visage masqué pour essayer d'en déceler une marque personnelle qui l'aiderait à mettre des noms sur ces inconnus. Seulement au bout de quelques secondes, elle se rendit compte que Mélodie était probablement la seule personne qu'elle connaissait.

Quand la jeune femme détourna le regard d'un vieil homme pour chercher sa camarade de résidence, cette dernière avait disparu. Ou presque, puisqu'elle la repéra au sommet de l'escalier menant à l'entrée. Aussitôt l'eut-elle vue franchir le porche que son cœur accéléra car sa silhouette s'évapora dans ce qui semblait être de la fumée noire.

Avec empressement, Lys se fraya un passage parmi les gens. Elle avait l'impression d'être Alice courant après son lapin et ce dernier, fidèle au conte, l'entraînait dans un endroit mystérieux. Oui, fidèle au conte, la jeune femme s'enfonçait presque aveuglement dans un océan de noirceur et d'étrangeté.

Peut-être devrais-je partir en direction de la forêt, songea Lys en posant son pied sur la dernière marche.

Elle se retourna et bien qu'elle peina à voir cette dernière, un petit bout de celle-ci réussit à accrocher son œil. Pourquoi vouait-elle un tel intérêt à cet ensemble de conifères ? Pourquoi avait-elle l'intime conviction que ce lieu sombre et flou était préférable à ce manoir ? Pourquoi cette petite voix dans sa tête lui criait de fuir la bâtisse ? Décidément, ce rêve était des plus curieux...

Elle se dit soudain que ses réflexions étaient totalement infondées. Depuis quand une forêt était plus sûre qu'une maison ? Évidemment, le contexte rentrait en jeu ici, mais que connaissait-elle de cette demeure ? Que connaissait-elle de cette masse noire au loin ? Rien, absolument rien.

La peur monta d'un degré, son ventre se tordit et son corps devint plus glacé encore qu'il ne l'était déjà.

Comme si quelqu'un avait entendu ses pensées et voulait confirmer ses doutes, on l'a bouscula et elle tomba à terre. La douleur qu'elle ressentit quand on lui piétina la main la fit tressaillir et grincer des dents. Les talonnettes des chaussures s'enfoncèrent dans sa chair sans pitié, lui faisant monter les larmes aux yeux. C'était comme si elle était invisible pour les autres et elle était certaine qu'un cri de douleur ne l'aurait plus aidée à se faire remarquer.

Les sensations dans ce rêve étaient si puissantes que durant quelques secondes, elle douta sur la nature du phénomène. Puis à bien y penser, le piège de tout cauchemar n'était-il pas de ne pouvoir bouger ni parler ?

Pourtant Lys avait encore un contrôle sur son corps et ses paroles ! Un rêve lucide ? Et s'il ne s'agissait pas de l'acheminement de son inconscient tout compte fait ? Si cette réflexion s'avérait juste, alors la jeune femme était en danger, perdue dans l'incompréhensible et surtout l'impensable !

Son désir d'échapper à la situation avait parlé pour elle jusqu'à maintenant et avait tenté de la rassurer. Après tout, rêver était bien moins dangereux que faire un véritable voyage. Cependant plus le temps passait désormais et plus les interrogations se faisaient nombreuses. Et si tout ceci était une réalité ? Réalité seconde ou tertiaire, elle l'ignorait mais...

Ses pensées furent interrompues par deux grandes mains masculines. Remise sur pied, Lys eut envie de remercier son sauveur mais celui-ci s'était à nouveau mêlé à la foule si bien qu'elle ne pu savoir qui venait de la sortir de là.

Doucement, la jeune femme reprit le mouvement et passa sous le porche. Aussitôt de la fumée vint chatouiller ses narines et sa gorge. Ses yeux essayèrent de rester ouverts mais ne réussirent pas. Elle dut se protéger le visage du revers de la main.


L'essence de Lys 1 - Le bal d'Adriel (Terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant