L'essence de Lys 1 - Le bal d'Adriel (Terminée)

11 - La danse du démon

La main gantée d'Adriel emprisonna celle de la jeune femme et sans même la prévenir, il débuta la valse.

Contrairement aux autres, ils ne tourneraient pas dans le sens d'une aiguille d'une montre. Le maître des lieux désirait plus de folie. Il voulait déstabiliser sa proie. Ainsi, perdue, elle serait à sa merci. Elle lui donnerait plus rapidement ce qu'il désirait.

Pourtant il avait un mauvais pressentiment. Bien que celui-ci n'était pas complètement fondé, il savait qu'il ne devrait pas perdre son temps en s'amusant avec cette porteuse d'âme. Il devrait prendre ce qu'il voulait avant qu'elle ne lui échappe.

Même si celle-ci n'était qu'une enfant n'ayant pas encore fait son choix d'essence, il sentait une certaine puissance émaner d'elle. Était-ce dû à ce bracelet qui avait tenté à plusieurs reprises de le brûler ? Était-ce véritablement un bijou de sa famille ? Comment une sang-mêlé pouvait avoir un tel objet en sa possession ? Cela suscitait sa curiosité et son intérêt pour elle.

— Vous n'avez pas encore trouvé pourquoi ? se moqua-t-il ouvertement. Enfin Lysandre, je vous pensais plus intelligente !

Sa remarque eut l'effet escompté. La petite main de sa proie manqua de lui échapper mais il raffermit sa prise. Il agrandit ses tours. Il voulait qu'elle soit obligée de le suivre. Il voulait qu'elle soit sa prisonnière. Son artillerie était peut-être grande, mais son esprit lui, malgré quelques résistances, était encore jeune et facile.

— J'ai déjà quelques soupçons de réponses mais j'espérais pouvoir entendre une de vos énigmes. Parce que je suppose que c'est ainsi que vous fonctionnez. Me tromperais-je ?

Cette petite devenait intéressante tout à coup. Malgré la peur qui paraissait sur son visage, elle ne perdait pas son courage et défiait même le démon. Adriel avait vu des milliers de personnes valser dans sa salle. Certaines avaient été trop idiotes pour réaliser l'enfer dans lequel elles venaient de rentrer et pourtant, leurs capacités auraient dû leur permettre de se rendre compte de la supercherie. D'autres, trop faiblardes, n'avaient pas réussi ne serait-ce qu'une valse. D'autres encore, lui avaient donné du fil à retordre en se pensant plus fortes que lui.

Cependant cette gamine était peut-être différente. Son esprit, gagnait seconde après seconde en puissance, désireux de résister aux sorts du grand maître. Les autres proies à ce stade-là, n'avaient plus aucune conscience, plus aucune capacité d'analyse car il la leur avait ôtée. Il s'amusait à la leur rendre quelques minutes avant le pacte. Leur panique et leurs tentatives ratées de fuite faisaient son bonheur.

Mais elle s'était réveillée plus tôt que prévu et c'était ce qui lui faisait dire désormais avec quasi-certitude que les choses ne suivraient pas le schéma habituel.

Inexplicablement, cette sang-mêlé parvenait à reprendre le contrôle de ses pensées et brouillait ces dernières. Adriel n'arrivait plus à lire en elle. Il n'arrivait plus à se jouer d'elle. La marionnette coupait les ficelles qu'il pensait pouvoir tenir longtemps encore. Elle apportait du renouveau, et ce n'était pas pour lui déplaire.

— Mais que vois-je, une joueuse ? Je ne vous pensais pas ainsi ma chère Lysandre !

Il fit un échange de bras pour troubler la jeune femme. Cela fonctionna, durant une fraction de seconde. Mais elle replongea rapidement son regard dans le sien. L'agneau essayait-il de se déguiser en loup ?

— Les apparences sont bien souvent trompeuses, souffla-t-elle alors sans faiblir.

Intérieurement, Lys tremblait. Intérieurement, elle était dans le brouillard complet. La jeune femme était terrifiée. Mais elle avait cette petite flamme qui voulait faire fondre toute la glace qui tentait de la geler à jamais. Elle avait cette petite flamme qui lui soufflait que Mélodie pouvait peut-être l'aider à sortir de là.

— Qu'en pensez-vous, Adriel ?

Elle aurait aimé pouvoir lui retirer son masque. Elle aurait voulu voir si ses réponses le dérangeaient. Elle en aurait eu besoin, pour se rassurer.

— Je pense que la tromperie peut parfois apporter de bonnes surprises, répondit-il avant de lever le bras pour la faire tourner.

— N'est-ce pas mentir que de prétendre être quelqu'un d'autre ? continua la jeune femme refusant le tour qu'il lui imposait. Pensez-vous pouvoir obtenir ce que vous désirez en usant de la tromperie Adriel ?

— Et vous Lysandre, n'êtes-vous point en train d'en user en ce moment-même ?

Que sa victime refuse de lui obéir ne lui plaisait plus ! Sa voix en faisait gage de preuve.

— Non, je demande simplement à voir la réalité. Je ne boirai plus d'illusions d'un enchanteur. Tôt ou tard, vous serez obligé de montrer votre vrai visage. Vous ne pourrez plus vous cacher derrière un masque. Parce qu'il me semble que c'est ce que vous aimez, l'art de se déguiser. Mais pourquoi donc ? Auriez-vous peur de quelque chose ?

Daphné s'était souvent moquée, bien que gentiment, de la faiblesse de sa copine. Alors que la plus âgée aimait provoquer et flirter avec le danger, Lys avait toujours préféré la sécurité de la routine.

Mais en deux ans, elle avait observé la jeune femme. En deux ans, elle avait appris de Daphné. Elle l'avait vue se jouer de personne avec simplement de l'assurance et quelques questions hasardeuses. Les gens apportaient bien souvent les réponses sans même s'en rendre compte. Daphné savait lire sur les visages.

Même si Lys ne pouvait faire de même avec ce masque blanc, il lui restait encore les yeux sombres d'Adriel ainsi que la fermeté avec laquelle sa main tenait la sienne et la tonalité de sa voix. Ses suppositions devaient probablement avoir une part de vérité. Mais laquelle parmi toutes avait retenu l'attention de l'organisateur du bal ? Sur ce point, Lys n'avait pas la réponse.

La fin du morceau la ramena à l'ordre. Adriel avait demandé une danse. Elle la lui avait accordée. Il était maintenant temps qu'elle rejoigne Mélodie.

— C'est ainsi que s'achève notre danse, déclara-t-elle d'une voix calme, totalement en contradiction avec le chaos opérant dans son esprit et son cœur effrayé.

— C'est mon monde. C'est moi qui impose les règles et je décrète que cette danse ne doit pas prendre fin dans l'immédiat !

La jeune femme donna un coup d'œil sur sa droite et ne put cacher sa surprise en remarquant sa camarade de résidence.

— Vous êtes bien plus fascinante que tous les autres, Lysandre. Vous êtes la plus belle pièce de mon puzzle.

Une simple œillade avec Mélodie suffit à lui faire comprendre que sans le vouloir ou peut-être au contraire, volontairement, Adriel venait de la mener face au miroir de la vérité.

— Vous avez demandé la fin de toute cette mascarade ma chère, souffla le démon dans son oreille tandis que les yeux horrifiés de Lys voyageaient sur ceux qui autrefois, avaient valsé à ses côtés.

Ils étaient tous d'une laideur sans pareil. Les ombres qui flottaient au-dessus de leur tête cadavérique semblaient encore plus menaçantes que cette armée de zombies déguisés. Soudainement, les agréables senteurs de la salle disparurent pour laisser place à une puanteur de putréfaction. L'odeur de la mort remplissait désormais ses narines et retournait son estomac.

Et Lys réalisa enfin qu'elle s'était grandement trompée sur le nombre d'ennemis qu'elle devrait affronter.