10 - Redescendre sur terre

33 10 0
                                    

Pourtant une personne vint mettre fin à son moment de bonheur : Mélodie.

Malgré son masque, sa coiffure d'autrefois et sa robe, Lys était certaine de l'identité de cette dernière. C'était la première femme qui dansait avec elle. Instantanément, elle lui fit penser à Daphné. Pourtant elle n'avait rien en commun avec sa copine.

Celle-ci n'avait pas les yeux gris mais ces derniers étaient colorés d'un marron foncé quasiment noir. Daphné n'avait pas les cheveux roux mais de la couleur belle et profonde d'un corbeau. Elle n'était pas petite comme Mélodie, elle était grande et fine, comme un mannequin qui défilait sur un podium.

— Continue à danser, lui ordonna sa camarade de résidence. Il ne faut surtout pas qu'il remarque que je te parle.

Aussitôt Lys comprit qu'elle parlait d'Adriel. Elle ne savait pas vraiment comment elle pouvait en être certaine mais c'était le cas.

— Partage encore deux danses pour étouffer toute marque de doute, après cela, rejoins-moi au fond de la zone ouest de la salle. Je dois te montrer le miroir de la vérité. Tu comprendras alors.

Sans plus de détail, Mélodie se détacha de la jeune femme, la laissant soudainement glacée de nouvelles questions sans réponse.

Elle ne réussit pas à apprécier les deux danses qui suivirent. C'était comme si Mélodie venait de réveiller une once de lucidité chez Lys. Elle l'avait sortie d'un sommeil agréable, elle lui avait ouvert les yeux sur ce qu'était devenu le monde pendant son absence. Désormais la jeune femme n'avait qu'une seule envie : celle de rejoindre son ancienne partenaire de danse pour voir le fameux miroir de la vérité.

Ce nom l'intriguait. Ce nom lui parlait pourtant et c'était justement ce sentiment qui la travaillait le plus. Elle avait subitement l'impression qu'elle connaissait ce dernier. C'était comme du déjà-vu, or jamais elle n'avait été dans cette pièce.

À la fin du huitième morceau symphonique, elle offrit un signe de tête au grand homme avec qui elle venait de danser. Puis elle fit un demi-tour sur elle-même à la recherche de la coiffe de Mélodie. Se frayer un chemin parmi les danseurs ne fut guère facile. Lys avait l'impression de devoir se battre contre une puissante vague qui refusait de la laisser regagner la terre ferme. Elle ne ménagea pas ses efforts. Et ce fut quelque peu décoiffée et le visage rougi par sa lutte qu'elle réussit à sortir du cercle oppressant.

— La zone ouest, répéta-t-elle pour elle-même.

Lys n'était pas très douée pour se repérer dans l'espace, si bien qu'elle ne savait absolument pas où se trouvait le point de rencontre que Mélodie lui avait fixé.

Alors qu'elle longeait les murs, la jeune femme se sentit soudainement observée. Adriel, ce devait être lui. Lys ignorait pourquoi elle en était persuadée. Elle le ressentait, inexplicablement. Un frisson la gagna, puis un deuxième et un troisième.

Elle jugea bon de faire celle qui observait les lieux. Elle fit glisser ses doigts sur le décor des colonnes, elle feignit se fasciner pour les matériaux et les couleurs. Si elle l'avait réellement été au départ, seul rejoindre Mélodie comptait pour elle désormais.

Après quelques secondes de comédie, ses yeux se posèrent enfin sur la robe de sa camarade de résidence. Tout en se tordant les doigts, cette dernière regardait autour d'elle. Elle semblait stressée. Lys s'apprêtait à s'élancer vers elle lorsqu'un masque blanc cachant la totalité du visage d'un homme vu la carrure ainsi que le costume, la stoppa.

— M'accorderiez-vous une danse ma chère ? demanda une voix qu'elle reconnut comme étant celle qui avait ouvert le bal.

Le visage de la jeune femme se figea.

Il n'y avait aucun doute, il s'agissait d'Adriel, l'organisateur du bal, celui dont son arrivée avait causé une vague de peur chez les gens.

Lys avait envie de refuser. Son allure de prince charmant dans son costume immaculé ne la bernait pas. Pas plus que son masque digne du fantôme de l'opéra ou ses cheveux couleur ivoire. Derrière son apparence angélique, cet Adriel était le mal en personne, Lys en était certaine, elle le sentait. Ses yeux sombres ne parvenaient pas à cacher entièrement le monstre qu'il était.

Elle devait rejoindre Mélodie. Elle devait se dérober de lui. Mais lorsqu'il lui offrit une main gantée blanche, elle comprit qu'elle n'avait pas le choix que d'accepter son offre, d'autant plus qu'elle venait de surprendre quelques regards posés sur eux deux.

Lys devait désormais partager une valse avec le diable...

À peine sa main eut-elle touché celle d'Adriel qu'une vague de froid submergea la jeune femme. Lys déglutit, le visage statufié. Elle aurait voulu s'enfuir mais tous les regards posés sur elle la défiaient de le faire. Les longs doigts de l'homme se refermèrent sur sa peau et son souffle lui fut ôté durant quelques secondes. La douleur que cette suffocation produisit chez elle fut intense. Si intense qu'elle dût faire un effort monstrueux pour ne pas grimacer.

Les yeux de la jeune femme croisèrent ceux de sa camarade de résidence. Celle-ci secoua négativement la tête en devinant qu'elle s'apprêtait à faire quelque chose qui lui porterait préjudice.

— J'espère que le bal vous plaît.

La voix d'Adriel avait une résonance grave, si grave que Lys avait l'impression que ses paroles tentaient de s'emparer de son corps. Tout d'abord, elles commenceraient par prendre possession de ses pensées comme lors de son entrée dans la salle. Elles lui feraient perdre la raison puis la dévoreraient. Avec appétit et sans aucune pitié.

La jeune femme savait qu'elle devait mentir ou du moins se reporter sur les qualités de l'architecture et de la soirée en elle-même. Elle pouvait aussi hocher la tête et se contenter d'un sourire. Mais Lys ne réussit aucune de ces manœuvres. Car elle était pétrifiée.

Le frisson qui l'avait parcourue avait gelé chaque parcelle de son corps. Il s'était infiltré en elle comme du poison. Et il ne délogeait plus de sa place depuis que la glace d'Adriel l'avait givrée.

— Vous n'êtes guère bavarde. J'aurais juré pourtant vous avoir vue échanger quelques mots avec vos cavaliers.

Une fois de plus, ne pas grimacer fut difficile. Plus les secondes passaient et plus Lys remarquait des détails autrefois passés inaperçus. Les regards qu'elle croisait étaient curieux. Elle se sentait soudainement comme une bête de foire. Les gens attendaient de voir le spectacle qu'elle allait leur offrir.

Il était peut-être temps alors de leur donner ce qu'ils attendaient...

La jeune femme se racla la gorge et prit une grande inspiration avant d'affronter le regard de l'organisateur de la soirée. Ses yeux contrastaient avec la pureté de sa chevelure et de son ensemble. Ses yeux étaient probablement le reflet véritable de son âme.

— Pourquoi « Le bal des monstres d'Adriel » ?

Bien qu'un sourire gagnât son partenaire, Lys ne le remarqua pas car le masque cachait toutes marques d'expression de son visage.

D'une main assurée, l'homme l'attira vers lui. Il n'y avait là aucune douceur, aucune courtoisie. Juste le désir de lui montrer qui faisait les règles dans ce monde qui était le sien...

L'essence de Lys 1 - Le bal d'Adriel (Terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant