Une histoire de Destin

Chapitre 1

Zoé Sanders n'avait jamais été du genre à s'attacher rapidement. A s'attacher tout court, même. Depuis aussi longtemps qu'elle se souvienne, elle avait grandi seule. A 5 ans, elle avait été trouvée près d'une poubelle à Londres par des inspecteurs de Scotland Yard qui n'ont jamais réussi à retrouver ses géniteurs. Au cours de sa jeunesse, elle fut adoptée, puis abandonnée, puis encore adoptée et abandonnée. A 8 ans, sa famille adoptive lui avait fait vivre un enfer. Battue et abusée, elle s'était retrouvée à l'hôpital avec des côtes cassées et des traumatismes psychologiques importants. Jusqu'à ses 18 ans, elle alterna entre familles et orphelinats. Une fois majeure, sans diplôme autre qu'un baccalauréat en poche, elle tenta de trouver du travail. Ce fut difficile, les entreprises n'embauchant pas facilement des jeunes sans diplôme universitaire.

En ce jour du 24 décembre 2O2O, Zoé sirotait tranquillement un thé dans un salon, à la fois seule et loin de l'esprit de Noël, et ce malgré les multiples décorations scintillantes de la boutique. Du haut de ses maintenant 22 ans, elle n'avait jamais eu l'occasion de célébrer ce jour de fête, qui était inconnu à ses yeux.
La gérante, dont le seul souhait devait être de rejoindre sa famille et passer ce réveillon avec eux, était par sa faute bloquée au travail, et ne se retenait pas de lui faire comprendre par des regards mauvais et des soupirs bruyants. La joyeuse musique de Noël qui résonnait en fond ne faisait qu'accentuer la solitude de Zoé qui était lasse. Elle ne se souvenait pas de sa vie avant ses 5 ans, avant d'être trouvée honteusement près d'une benne à ordure. La colère qu'elle ressentait envers ceux qui l'avaient abandonnée était comme un carburant la faisant avancer malgré tout dans ce monde impitoyable.
A force d'errer et de chercher du travail, elle connaissait maintenant toutes les rues de Londres, ce qui lui permettait d'éviter les endroits malfamés.

Soupirant pour la énième fois, elle chassa sa mélancolie d'un geste de la main et se leva finalement pour payer sa tasse de thé à l'employée qui ne se fit pas prier et partit presque plus rapidement que sa cliente.

Zoé prit son raccourci habituel, et malgré sa tenue qui était chic mais pas trop, elle se remémora son chemin. Elle devait tourner à gauche, sauter par-dessus la troisième balustrade, traverser une maison abandonnée pour déboucher sur la rue derrière et après avoir tourné deux fois à droite, elle serait arrivée à son immeuble.

Elle sauta donc comme prévu par dessus la balustrade et pénétra dans la maison abandonnée dont les portes étaient depuis bien longtemps ouvertes, sans verrou.

Or, en entrant, elle vit tout de suite qu'il se passait quelque chose. Les sans-abris n'utilisaient pas cette vieille habitation, car elle était si moisie et infestée de toutes sortes de bêtes comme des rats et des mîtes qu'elle était invivable, même pour un SDF. Ils préféraient se réfugier sous le pont près de la Tamise, qui était un lieu plus sûr que cette maison qui risquait de s'effondrer d'une minute à l'autre.

Alors, comment expliquer la venue de quelqu'un dans cette immondice ? Car elle en était sûre, quelqu'un était venu ici. Les vieux meubles avaient été déplacés, une lampe était cassée au fond de la pièce principale et une étrange odeur régnait. Comme celle... du sang. Elle sortit discrètement sa bombe lacrymo de son sac à main et avança jusque dans la cuisine, où elle ne put retenir une exclamation de stupeur.

Sous ses yeux, à moins d'un mètre d'elle gisait le corps d'un homme d'une cinquantaine d'années, dont l'estomac semblait avoir été arraché. Mais le pire était ses yeux, ils sortaient de leurs orbites, offrant un spectacle atroce à la seule personne présente. Avec un espoir sans doute vain, elle s'agenouilla rapidement à ses côtés, essayant d'obtenir le moindre pouls qui lui ferait comprendre qu'il soit encore en vie. Malheureusement, la seule chose qu'elle récolta fut d'être couverte du sang de la victime.