Tu as conquis le vide où l'exil et les pleurs
Avaient précipité les fragments de mon être,
Mais à peine le ciel reprend-il des couleurs
Que tes propres démons les veulent disparaître.
Devrai-je, pour t'aimer, partager le fléau
Qu'ils ont su décorer du sceau de l'habitude,
Au risque de me perdre et chérir à nouveau
Comme toi, les malheurs que vend la solitude ?
Je les accepterais s'ils étaient de ta main,
Or, quelques vieux couplets bercés dans mon enfance
M'apprennent que le mal est impropre à l'humain,
Et que nul n'est ici pour vivre dans l'errance.
Toi qui sais la beauté captive de l'horreur,
Pourquoi la condamner à rester prisonnière
Et draper ses attraits, quand toute leur splendeur
Méprise le linceul et bénit la lumière ?
N'entends-tu pas jaillir sa plainte du tombeau ?
Elle atteste du crime accompli en silence.
Ou sans doute est-ce toi qui presses le corbeau
D'en recouvrir le bruit par ses cris de jouissance ?
Tu vantes sans repos ce merveilleux séjour,
Ce monde différent où ta lèvre m'invite,
Où la nuit, éternelle autant que notre amour,
Est presque le reflet des monstres qu'elle abrite :
Quel est ce beau pays où les spectres sont rois
Et l'hiver a bâti leur grave forteresse ?
On s'y sent à l'abri sûrement, mais je crois
Que toute la charpente est en bois de tristesse,
Car derrière tes mots j'arrive à entrevoir,
Sous leurs airs d'amertume et de mélancolie,
Les ultimes échos retenus dans le noir
D'un immense univers de rêve et de folie.
J'aimerais qu'il surgisse hors du brouillard épais
Où depuis trop longtemps tes goules le retiennent,
Il serait éclatant, et enfin tu verrais
Qu'autant d'obscurité ne pouvait être tienne.
Abandonne à présent le serpent, le vautour,
Les affreux compagnons de tes rites funèbres,
Alors je quitterai le soleil à mon tour
Pour connaître un peu mieux la douceur des ténèbres.
Oui, ma reine du froid, je renonce aux flambeaux
Que je voulais porter en ton palais de glace,
Mais toi, me suivras-tu vers ces autres châteaux
Qui se dressent pour nous au-delà de l'espace ?
Je laisserai mourir les rayons de l'été
Si ton nez se refuse aux lugubres arômes :
Oubliant tout de l'ombre et tout de la clarté
Quittons en même temps nos deux piètres royaumes.
Que nous importent donc les batailles sans fin
De ces astres furieux qui jamais ne se croisent,
Quand nous pouvons trouver dans les vers de chacun
De quoi combler nos yeux d'une plus grande extase ?
Sitôt qu'auront péri le vice et la vertu
Élevons-nous ensemble au-dessus de l'abîme,
Pour du bout de nos doigts tendus vers l'inconnu
Peut-être caresser les songes du sublime.
Je ne sais presque rien du sort qui nous attend
Une fois tous les deux à la merci du gouffre,
Mais à bien réfléchir, la gueule du néant
Me semble préférable à la terre où l'on souffre.
14/02/14