Ma barque a trop longtemps essuyé les furies
D'une mer qui hait voir un homme l'asservir
En posant sur son dos quelques planches pourries,
Et voguer à son gré du mistral au zéphyr,
Mais je prolongerai sans cesse ce voyage,
Au mépris des dangers que me crachent les flots,
Tant que l'espoir d'un jour y trouver ton image
Privera mon esprit du plus humble repos.
Partout je reconnais la vague qui naguère,
Au profit d'un instant maudit de déraison
Emporta loin de tout mon âme la plus chère
Et l'offrit en tribut au sinistre horizon.
Je me souviens de l'heure où nous pouvions ensemble
Chanter les mêmes vers dédiés à nous deux,
Mais l'ombre d'aujourd'hui n'est plus celle du tremble
Qui se faisait jadis le témoin de nos jeux ;
Un spectre s'est levé sur notre ancienne gloire,
Et souille désormais chaque mot que j'écris,
Comment puis-je tenir seul avec ta mémoire
Quand on m'enlève ainsi le dernier des abris ?
Si notre Éternité doit être ce mensonge
Que nous alimentions sans doute à notre insu,
Mon trajet se poursuit, ma chute se prolonge,
Et j'accepte le gouffre où je serai reçu.
Peu m'importe en effet si je cours à ma perte
En écoutant la voix qui me dit de chercher,
Jusqu'aux confins perdus que le Soleil déserte,
Ton cœur déjà promis à un autre nocher,
Qu'au moins si je ne puis conjurer ton absence
Je goûte au réconfort de marcher dans tes pas,
Et que je m'autorise à croire ma souffrance
Apte à m'ouvrir le lieu dont on ne revient pas.
Là, enfin délivré des tourments de ce monde,
Plus rien ne gênera ma quête et mon destin,
Ni le ciel effrayant du tonnerre qui gronde
Ni, dans les meilleurs jours, les larmes du crachin ;
Là, je pourrai goûter l'éternelle accalmie,
Puisque la solitude est mère de ces maux
Et qu'alors je verrai les yeux de mon amie
Écarter la pénombre et glisser sur les eaux :
Déjà je t'imagine apparaître, mon ange,
Sous les traits éclatants d'un oiseau merveilleux,
Tes ailes brûleront d'une lumière étrange
Et ma plume en fera l'éloge silencieux.
Tu viendras lentement tout près de ma nacelle
Avant de te poser juste sur le rebord,
Puis, me sentant baigné d'une chaleur nouvelle,
Je recevrai par toi le baiser de la mort.
Le néant surgira de nos corps en étreinte
Pour s'emparer de moi sans le moindre labeur,
Je n'aurai que le temps, ma flamme presque éteinte,
De souffler quelques mots à l'endroit de ton cœur
Afin que si les dieux n'estiment pas propice
De m'accorder aussi la faveur d'un retour,
Il reste dans les airs, bien loin de mon abysse,
Le souvenir discret de mon unique amour.
01/06/14