Parfois, quand vient la brune, à l'heure où l'on s'endort,
Je prête à la nature une oreille lointaine,
Et j'aime distinguer au détour d'un accord
Les doux chuchotements d'une existence humaine.
Je découvre soudain, bercé par ses accents,
De mon cher inconnu la vie aventureuse :
Est-il roi des voleurs, souverain des marchands ?
Non. C'est le serviteur de sa tendre amoureuse.
Je traverse avec lui de merveilleux tableaux,
Et déjà ne sais plus qui de nous imagine
Cette femme qui trône au milieu des lambeaux,
Son sourire comme arme, en maîtresse assassine.
Le sol est recouvert de bouffons audacieux,
Qui crurent s'arroger les délices parfaites
En plaisant à la reine une soirée ou deux,
Quand ce triomphe assied la pire des défaites :
Ils rampent à présent, pendus à ses orteils,
Prisonniers d'une soif toujours inassouvie,
De leurs yeux désertés coulent des flots vermeils,
Pour âme ces pantins n'ont plus que leur envie.
La belle, cependant, montre un visage noir,
Étranger aux plaisirs s'offrant à sa portée,
Son cœur est à l'affût, mais comme chaque soir,
Le prince qu'elle attend l'a encore oubliée.
Elle en rêve déjà depuis ses jeux d'enfant,
De cet être parfait, quelque part sur la Terre,
Lui-même la recherche, et c'est lui qu'on entend
S'en remettre à la nuit pour porter sa prière.
Où donc, parmi le sang, les cadavres épars,
Peut-il bien se cacher, son amour et mon guide ?
Préfère-t-il alors l'effroi des cauchemars
Au bonheur d'épouser son amante splendide ?
Serait-ce lui qu'on voit, ce point à l'horizon ?
Lui, qui disparaît presque aux frontières du songe ?
Cet homme qui s'enferme en sa propre prison,
Pleurant sur le malheur que lui-même prolonge ?
Pourtant je le devine, au jour tant attendu,
Lorsque enfin le destin aura fait son ouvrage,
Jeter au bon endroit son regard éperdu,
Et laisser après lui les ruines de sa cage.
Dès lors, il marchera vers le palais d'argent
Où ne s'ennuiera plus sa promise éternelle,
Moi, je célébrerai les noces des amants,
Pourvu que le matin n'ait jamais raison d'elles.
03/12/13