Le Voyage d'Ingvar : Premiers adieux

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La brume a recouvert le pays que j'aimais,

Comme pour l'effacer déjà de ma mémoire,

Il ne reste alors plus de ses glorieux sommets

Que des contours diffus, ombres dans la nuit noire.


Mais à quoi bon draper ainsi dans le brouillard

Le charme pénétrant qui sommeille en ces terres ?

Qu'importe s'il se ferme aux faveurs du regard :

Je l'embrasse aussi bien en baissant les paupières.


Car soudain je revois, de ces flancs merveilleux,

Le Soleil éclairer les forêts verdoyantes,

Et puis, sur les hauteurs qui caressent les cieux,

La neige renvoyer ses couleurs chatoyantes.


L'onde pure des lacs coule à petits ruisseaux

Vers la mer qui, plus bas, abreuve le rivage.

Entre les fiers massifs et la douceur des eaux,

C'est au creux d'un vallon que naquit mon village.


Les sentiers tout autour captent les étrangers

Tombés de la montagne ou jetés sur la grève,

Conduisent chacun d'eux au travers des vergers

Les séparant encor du foyer dont ils rêvent.


Ils y trouvent bientôt la chaleur que dehors

La nature réserve à la louve esseulée :

Nous avons toujours su réunir nos efforts

Pour venir au secours de l'âme désolée.


Lorsque le voyageur ne croit voir qu'un abri,

La bonté d'un pêcheur à la porte entr'ouverte,

Un toit plus amical que le ciel assombri

Ou d'un charmant hameau la simple découverte,


Je sais que se tapit derrière cet accueil

La sincère expression des vertus les plus pures

Du peuple sur lequel j'ai bâti mon orgueil,

Mais a bien trop nourri mes rêves d'aventures.


C'est devenu semblable aux spectres vaporeux

S'élevant des taudis pour ne jamais descendre,

Que je quitte ce soir la douceur de mes feux,

Où mon cher souvenir se perdra dans la cendre.


Pourrai-je sur les flots retrouver un seul jour

La clarté de tes yeux au milieu des étoiles ?

Et si l'amour m'appelle à faire demi-tour,

En sera-t-il autant du souffle dans mes voiles ?


Si ma route retourne à son point de départ,

Y serai-je accueilli sans rancœur et sans peine ?

Ou m'annoncera-t-on que, revenu trop tard,

L'épouse abandonnée a cessé d'être mienne ?


Reverrai-je mon fils me tirer du sommeil,

Effrayé par le vent qui frappe à ses fenêtres ?

Lui chanterai-je encor jusqu'au matin vermeil

Les voyages conduits par ses nobles ancêtres ?


J'ai beau feindre en mon cœur l'espoir de revenir

Pour passer à nouveau le seuil de ma chaumière,

Je sais que mon périple est mon seul avenir

Et que jamais le temps n'a marché en arrière.


Ainsi je me dirige, épaulé par la nuit,

Vers le quai de fortune où mouille mon navire,

Je me hâte d'ôter ses amarres sans bruit,

Avant d'enfin voguer où l'âme le désire.


Les lueurs du lever seront belles, je crois,

Alors si nos deux cieux forment toujours le même,

Nous le verrons ensemble une dernière fois,

Et l'air se chargera de porter nos je-t'aime.


26/01/14

Avant la Pologne : Iter, itinerisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant