Rien ne troublait alors l'océan du silence.
Juste les doux reflets des rayons du soleil
Qui passaient d'une vague à l'autre, et dans leur danse
Empêchaient les poissons de trouver le sommeil.
Celui-ci frétillait aux côtés de sa mère,
Trop petit en effet pour s'ébattre gaiement,
Celui-là bondissait vers l'orbe de lumière
Dans le but d'embrasser enfin le firmament.
La mouette, quelquefois, survolant l'étendue,
De son bec entr'ouvert saluait l'alevin,
Se posait un instant sur l'onde détendue
Avant d'escalader à nouveau l'air marin.
Elle aurait pu longtemps offrir au paysage
L'agréable ornement de son vol alangui,
Mais l'oiselle tenait à garder son plumage,
Et d'un geste soudain s'enfuit vers le midi :
Des grondements d'orage et des crachats d'écume
Surgissaient du lointain que craignait l'animal,
Des vapeurs s'élevaient en une épaisse brume
Qui soufflait devant elle un baiser glacial.
Les flots, terrorisés par ces nuages sombres,
Se tordaient de douleur sous les coups des éclairs,
Quand le ciel s'effondrait pour laisser place aux ombres
Dont l'empire déjà s'étendait sur les mers.
La chute vers l'oubli des dernières étoiles,
Conférait au tableau juste assez de clarté
Pour voir se dessiner, lentement, les grand-voiles
Du navire chargeant contre l'Éternité.
Sa coque de sapin le portait sur l'abîme,
Où sombrait devant lui le monde tout entier :
Rien ne freinait l'élan du pavillon sublime,
Qui se dressait, vainqueur, au-dessus du charnier.
Tel un spectre drapé dans les algues marines
Et les restes poisseux des hommes d'équipage,
Il mêlait leurs odeurs aux effluves salines
Lorsque des vents amis prenaient part au voyage.
Mais si le fier vaisseau, dans sa course terrible,
Arborait les aspects d'un ange de la mort,
Son sein était pareil à la mère paisible
Qui garde ses enfants des monstres du dehors :
Il cachait, à l'abri des tempêtes futures,
Les deux corps endormis d'un couple clandestin.
Abrités tout au fond de leurs cales obscures,
Ils se laissaient bercer aux fracas du destin.
17/11/13