3. Julien

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Julien descendait les marches, pris d’un mal de cœur terrible. Il s’accrochait au bras de sa mère comme à une bouée de sauvetage. Il aurait tout donné pour pouvoir remonter se terrer dans sa chambre. Il était cependant trop tard pour faire demi-tour. Il était déjà presque en bas et les invités applaudirent poliment en le voyant venir. Le jeune oméga ne connaissait même pas la moitié des personnes présentes et s’obligea avec difficulté à afficher un sourire aimable sur son visage. Sa mère s’éloigna de lui dès qu’ils eurent atteint la dernière marche et Julien se sentit plus seul que jamais. 

Un alpha de haute taille et au visage sévère s’avança vers lui d’un pas raide. Il inclina le buste devant le jeune homme et lui tendit la main. 

— Patrick Reich, se présenta-t-il avec formalisme. 

— Julien Zorn, répondit timidement l’oméga. 

Il posa sa main tremblante sur le bras de son prétendant. Il aurait voulu le détailler plus en détail mais n’osait fixer son regard sur lui. Il se contenta de respirer discrètement son odeur. Cette dernière lui déplut. Elle était aussi froide et aseptisée que lui. De son côté, l’alpha conservait un visage impassible et ne manifestait pas le moindre sentiment de contentement en rencontrant pour la première fois celui qu’il allait prendre comme conjoint. 

Edouard Zorn, le père de Julien, s’avança vers eux pour leur présenter toutes les personnes qui se trouvaient à proximité. L’oméga continua à s’efforcer de faire bonne figure et remercia les invités pour leur venue. Il remarque avec désapprobation du coin de l'œil qu’un groupe de jeunes hommes était en train de s’empiffrer au buffet sans même faire semblant de s’intéresser aux fiançailles. 

Lorsqu’ils eurent enfin épuisé leur stock d’invités à saluer, Patrick Reich entraîna Julien à l’écart. 

— A la demande de vos parents, j’attendrai vos dix-huit pour vous marquer et vous laisserai terminer votre scolarité jusqu’au baccalauréat, expliqua l’alpha de son ton d’homme d'affaires. Nous nous marierons ensuite au début de l’été et vous viendrez vivre avec moi dans ma demeure. J’habite dans un village des environs, dans un endroit très au calme. Vous vous y plairez. Vous pourrez, bien sûr, aller rendre visite à vos parents aussi souvent que vous le désirerez. J’espère pouvoir compter sur la naissance d’un héritier au plus vite. 

Julien ne put s’empêcher de trembler à l’idée de devoir monter dans le lit de l’alpha et de lui présenter son corps nu. Il n’avait strictement aucune expérience en la matière et ne ressentait pas la moindre attraction pour Patrick Reich. Il espéra que ce dernier ferait preuve de douceur et de patience. 

L’alpha resta silencieux un moment, comme s’il s’attendait à ce que Julien prenne à son tour la parole. Ce dernier se sentait cependant incapable de produire le moindre son. Que pouvait-il dire de toute façon à cet homme ? Qu’il refusait le mariage ? Il n’était qu’un oméga et devait obéissance à ses parents. Tout comme il serait soumis plus tard à son futur époux. Sans doute pouvait-il déjà s’estimer heureux de disposer de quelques mois de sursis jusqu’à sa majorité. 

L’alpha se racla la gorge. 

— Je dois vous remettre ceci. 

Patrick Reich s’agenouilla avec raideur et tendit à Julien un écrin ouvert. Une bague en or sertie d’un gros rubis s’y trouvait. L’oméga s’en saisit timidement. 

— Merci. Elle… est très jolie. 

Il trouvait en réalité le bijou bien trop tape à l'œil à son goût. L’alpha se releva et lui enfonça à l’annuaire. 

— Considérez ceci comme la promesse de mon engagement. Puis-je également vous embrasser ? 

Julien batailla ferme avec ses propres jambes pour ne pas faire un pas en arrière. Il avait beau réfléchir, il ne trouvait nulle excuse pour refuser. 

— D...D’accord, accepta-t-il d’une voix tremblante. 

Sa main était inhabituellement lourde et il avait l’impression que la bague s’enfonçait dans son doigt jusqu’à l’os. 

Patrick l’attira contre lui et lui releva le menton. Son baiser se révéla aussi froid et méthodique que lui. L’alpha se contenta de presser ses lèvres contre celle de Julien sans manifester le moindre signe de passion ou simplement de plaisir. Puis il recula presque aussitôt. 

— Je dois encore m’entretenir avec votre père. Nous nous retrouverons au moment des danses. 

Julien acquiesça, la gorge bien trop nouée pour pouvoir s’exprimer autrement. Il réprima difficilement l’envie de s’essuyer la bouche. Il se sentit soudain privé de toutes forces et chancela. 

Personne ne le regardait plus. Il aurait aimé trouver du réconfort auprès de sa mère, mais cette dernière était plongée dans une grande conversation avec un couple âgé aux visages froids qui ne pouvaient être que les parents de Patrick Reich. 

Le buffet était à présent officiellement ouvert et les convives se jetaient sur les canapés avec appétit. Julien se sentait toujours aussi peu capable d’avaler le moindre aliment. L’attention générale s’était détournée de lui et il se demanda s’il ne pourrait en profiter pour disparaître. Sa présence ne serait plus nécessaire avant l’ouverture du bal. Il songea à son fiancé et frissonna de dégoût à l’idée de devoir à nouveau s’approcher de lui pour danser. Il n’avait rien contre lui, mais cet homme lui déplaisait instinctivement. Il ne ressemblait en rien au prince charmant dont le petit oméga avait toujours rêvé...  

A sa grande consternation, Julien sentit soudain les larmes lui monter aux yeux et posa une main contre sa bouche pour étouffer ses sanglots. C’était celle qui portait l’horrible bague de fiançailles et il eut encore davantage envie de hurler. 

Le jeune homme se précipita en direction du couloir. Il ne se sentait plus capable de rester une seconde de plus dans les parages de l’homme dont il n’allait pas tarder à partager la vie. Julien avança à grands pas sans regarder où il allait, aveuglé par les larmes. Il finit par tomber sur une petite pièce munie d’une table de ping pong. L’oméga passait de nombreuses heures dans cette salle. Il aimait beaucoup jouer au tennis de table. Son père lui donnait des leçons régulières et il estimait avoir un niveau solide. La présence de ce lieu familier lui fit du bien même s’il sentit son coeur se serrer à la pensée de devoir bientôt quitter cette demeure dans laquelle il avait de si bons souvenirs. 

Le petit oméga fut pris d’un nouveau vertige et se plia en deux pour ne pas vomir. Il se laissa lentement glisser contre le mur et se recroquevilla sur lui-même. Son visage était à présent inondé de larmes qu’il ne cherchait même plus à réprimer. 

Julien ferma les yeux et laissa libre court à son chagrin. 

Roméo et Julien (bxb) [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant