19. Julien

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Cher papa, chère maman. 

Je pars pour la cathédrale. Lorsque vous trouverez cette lettre, sans doute aurez-vous déjà été averti du geste terrible que je m’apprête à commettre. 

Je n’ai pas le choix. Je ne peux plus épouser Patrick Reich. 
Je ne suis plus aussi innocent que vous le croyiez et des rumeurs circulent peut-être sur la marque que l’on trouvera à mon cou. Ne vous posez pas trop de question à ce sujet et n’ayez pas de moi une trop mauvaise opinion. 

Je suis désolé de vous avoir déçu. S’il vous plaît, ne m’en voulez pas trop de quitter ce monde avant vous et conservez pour moi votre ancienne affection. 

Je vous aime. 

Julien. 

Julien ferma soigneusement l’enveloppe contenant la lettre qu’il destinait à ses parents et la cacha sous son oreiller. Elle serait trouvée bien assez tôt. Il avait pris soin de ne pas dire un mot au sujet de Roméo. Julien ne voulait pas lui attirer des ennuis. Ses parents, sous l’effet du chagrin, pourraient certainement chercher à se venger. 

Il avait voulu laisser un message pour Roméo également, mais avait été incapable de coucher le moindre mot sur le papier blanc. Qu’aurait-il seulement pu lui dire ?  Il ne lui en voulait pas et espérait que l’alpha saurait être heureux avec sa fiancée et son futur enfant et qu’il penserait à lui, parfois. 

L’oméga observa les débris de son portable et sentit son cœur se serrer. Il aurait aimé téléphoner une dernière fois à son amant. Non pour lui demander de changer d’avis et de ne pas épouser cette femme, mais tout simplement pour entendre sa voix. Roméo avait le plus beau timbre du monde. Mais, s’il l’entendait, ne risquait-il pas de faiblir et de s’accrocher à sa misérable vie ? 

Julien se détourna et enfila un manteau pris au hasard dans un placard. Il ne mit ni écharpe ni foulard. Il ne lui était plus nécessaire de cacher sa marque. Il l’exposerait une première et dernière fois au vues de tous les passants qui croiseraient son chemin. Un oméga déchu ne devait plus ressentir la moindre honte. 

Il lui fut étonnamment facile de se faufiler hors du manoir Zorn. Sa famille était rassemblée dans le salon et ne le vit pas passer dans le couloir. Les gardes s’étaient tous miraculeusement absentés au moment où il arriva devant la grille. Le destin semblait vouloir qu’il réussisse. 

Le petit oméga s’avança dans la rue. La cathédrale, déjà, était en vue. Julien sentit quelque chose de froid lui tomber sur la main. Il leva les yeux au ciel. Il avait commencé à neiger. Les gros flocons qui virevoltaient dans les airs ressemblaient à de délicates petites plumes blanches. 

Julien ferma un instant les paupières et laissa les petits bouts de glace fondre sur son visage comme des larmes glacées. Curieusement, il n’avait pas envie de pleurer. Il se sentait enfin en paix. La peur qui le tourmentait avait cessé. 

Il rouvrit les yeux pour contempler la cathédrale, l’esprit en paix. Il allait sauter de son sommet. S’envoler dans les airs. Cesser de souffrir. 

L’oméga traversa la place noire de monde dans un état second. Il se faufilait entre les passants agglutinés sans les voir et entra dans la cathédrale. Il paya les huit euros nécessaires pour avoir le droit de monter sur la plateforme et s’engagea dans l’escalier. Sa peur, son chagrin, devenaient plus légers au fur et à mesure qu’il s’élevait. Toute peine allait bientôt pouvoir lui être épargnée et il songea à son amour. Vivre ensemble dans ce bas monde leur était peut-être interdit. Mais Julien était persuadé qu’il ne serait pas de même dans l’au-delà. La mort lui permettrait enfin de pouvoir aimer librement son âme sœur. Il n’aurait plus à attendre que Roméo le rejoigne après une longue vie bien qu’il espérait heureuse et bien remplie. 

L’oméga déboucha enfin à l’air libre. La plateforme était presque vide. Seul un couple de touristes qui tremblaient de froid se prenait en photo. Ils ne tardèrent pas à redescendre et l’oméga se retrouva seul. 

Julien s’avança vers le bord et se pencha sur la rambarde et observa l’horizon qui commençait à être recouvert d’une fine couche de neige. Les lampadaires et les multiples décorations s’allumaient. De haut, Strasbourg s’embrasait de mille feux multicolores. Julien embrassa du regard une dernière fois la ville qui l’avait vue naître et dans laquelle il avait rencontré son âme sœur. 

— Je t’aime Roméo. 

Son murmure fut aussitôt emporté par le vent qui, peut-être, conduirait ses dernières paroles jusqu’à la maison des Müllenheim. 

Puis il ferme résolument les yeux et se pencha en avant. 

Roméo et Julien (bxb) [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant