Chapitre 6 - Les Loups de Kaer Morhen

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Un cratère de volcan, ou au moins le cœur d'une forge. C'était l'impression qu'eut Jaskier en se réveillant une première fois, accablé par une chaleur étouffante, écrasé sous une masse de couvertures et de fourrures. Peinant à ouvrir les yeux, il ne jeta qu'un coup d'œil rapide autour de lui. Il faisait trop sombre pour apprécier les détails de la chambre où il se trouvait. Jaskier préférait profiter de son éveil — éphémère, il le sentait — pour contempler Geralt.

Le sorceleur dormait à poings fermés, tout près de lui. Son visage portait les marques de la route et de la fatigue, la trace des privations d'une année rude. C'était sans parler de la crasse dont Geralt ne s'était pas débarrassé avant de dormir.

Jaskier sourit doucement. Il était en sécurité. Il se rendormit.

***

À son second réveil, il était seul. Près de la cheminée où mouraient des braises blanchâtres, sur une petite table rustique, on avait laissé à son attention une vasque, un linge et des vêtements de rechange. Ce n'était pas le bain chaud dont Jaskier rêvait avec ardeur, mais cela lui permettrait d'être présentable. La tunique et les braies, dans des tons bruns et gris, n'étaient clairement pas à la hauteur de son style habituel, mais il faudrait faire avec. Ils avaient l'avantage d'être épais et chauds.

La chambre de Geralt méritait une exploration, aussi Jaskier se permit-il de fouiner. Sur les étagères murales s'exposaient des souvenirs hétéroclites et insolites des quatre coins du Continent, des babioles, une étrange collection de poupées de chiffon et beaucoup de livres. Des tableaux avaient été accrochés, d'autres étaient simplement entassés contre un mur. Il y avait également une malle de vêtements et quelques armes de belle facture. Jaskier contemplait une vie, ou plusieurs, entreposée pour l'hiver, un foyer et un musée à la fois.

Il quitta la chambre et partit à la découverte des immenses couloirs nus de Kaer Morhen. La forteresse était exactement ce qu'il avait imaginé, et tout son contraire : un lieu majestueux, mais vide, une légende, mais recouverte des poussières de l'oubli, un foyer, mais...

— Le moineau est tombé du nid ?

Jaskier sursauta. Au détour d'un couloir, une silhouette se distinguait à peine dans les ombres. L'homme s'avança. Plus petit que Geralt — et que Jaskier, mais musclé et nerveux, l'inconnu portait les deux épées caractéristiques des sorceleurs. Il avait aussi des yeux jaunes aux pupilles fendues et un aspect dangereux très certainement justifié. Avec des cheveux bruns coupés courts, une barbe précise, des cicatrices blanchâtres et une absence totale de sourire, son expression était extrêmement intense. Il avait la beauté féroce des grands fauves, ceux avec des griffes et des mâchoires peu fréquentables.

— Bonjour, salua Jaskier en tendant la main en avant. Julian Alfred Pankratz, Jaskier pour les intimes, barde.

Le sorceleur ignora la main tendue, examinant Jaskier avec une attention terrifiante. Le barde hésita, ne sachant comment procéder avec cet inconnu. Ce dernier fit un simple signe de tête, indiquant de grands escaliers.

— Par ici.

Jaskier lui emboîta le pas, intrigué.

— Lambert, finit par lâcher l'homme.

— Enchanté ! répondit le barde.

Sans ajouter un mot, le sorceleur les conduisit au rez-de-chaussée. Le hall principal du donjon était gigantesque, mais tellement vide que Jaskier en eut le tournis. Toute la vie se concentrait près de l'immense âtre où brûlaient des flammes accueillantes. Là, autour d'une longue table égratignée par les années, trois personnes conversaient : Geralt, vêtu de bleu foncé dans des tissus amples et plus confortables que d'ordinaire, un vieil homme aux cheveux poivre-et-sel et aux rides prononcées et un troisième homme aux cheveux bruns vêtu de rouge. Tous avaient la même carrure athlétique et les fameux yeux jaunes de leur guilde.

L'amour, les richesses et les heuresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant