Chapitre 2 - Prévoir l'hiver

64 3 0
                                    

Geralt se réveilla sans hâte, reconnaissant le grenier de l'auberge de Vertebrume. Des rais de lumière traversaient la chaume du toit, peignant la charpente de lignes ensoleillées où dansaient des particules de poussière. Il était allongé sur un large matelas de paille, les jambes prises dans une couverture entortillée.

Jaskier était blotti contre lui, encore endormi, bouche entrouverte. Ses cheveux bruns s'emmêlaient sur son front.

Un sourire secret, attendri, gagna Geralt. Ce n'était pas la première fois que les deux hommes partageaient une couche et, comme à chaque fois, le jeune barde gravitait pendant la nuit pour se coller à lui, cherchant la chaleur. Éveillé, Jaskier prenait de la place ; il parlait, chantait, jouait, plein d'assurance et de vie. Dans son sommeil, il se recroquevillait, affichait une vulnérabilité précieuse.

Geralt aimait ces moments de silence où il pouvait contempler le jeune homme de tout son soûl, sans avoir à se justifier. Il traçait des yeux la silhouette solide et élancée, le visage noble aux discrètes taches de rousseur et regrettait le bleu pétillant de ses yeux.

Un soupir. Cela faisait déjà quelques semaines que Geralt s'était rendu à l'évidence. Le barde excentrique s'était frayé un chemin dans ses pensées. Le sorceleur avait bien essayé d'ignorer ce jeune inconscient à la soif d'aventure déraisonnable, de le rejeter. Il avait tout essayé : ruades (mesurées, évidemment), insultes, indifférence... Rien n'avait fonctionné. Jaskier, malgré toutes ses plaintes et protestations spectaculaires, avait appris ; installer le campement, préparer des bandages, ramasser des herbes, prendre soin d'Ablette... Pourquoi s'obstinait-il à rester ? Cherchait-il vraiment l'inspiration ? Fuyait-il quelque chose ? Geralt avait l'impression que même le principal intéressé n'avait pas de réponse fixe à ces questions.

Aussi Geralt s'était-il habitué à sa présence. Non, c'était inexact. Il avait commencé à l'apprécier. La vie d'un sorceleur sur la Voie était une existence solitaire et difficile. La partager quelques temps avec un compagnon n'avait rien d'un calvaire. Certes, il fallait garder un œil sur Jaskier qui avait une capacité insolite à s'attirer des ennuis, supporter son babil perpétuel et ses crises d'inspiration rocambolesques... mais ce n'était pas si terrible. À présent, ce que redoutait Geralt sans se l'avouer tout à fait, c'était le moment où le jeune homme se lasserait de l'inconfort de la vie nomade et s'en irait vers de plus vertes pâtures.

Le sorceleur s'étira longuement, prenant soin de ne pas déranger son compagnon.

L'hiver serait bientôt là, songeait-il. Presque chaque année, il prenait la route du nord, vers Kaer Morhen, pour y passer la saison avec les membres restants de l'École du Loup.

Une idée germait dans son esprit, une idée un peu folle, voire complètement déraisonnable, avec des yeux clairs et l'écho d'une chanson sur ses pas.

— Geralt ? grogna une voix hésitante.

— Hmm, répondit le sorceleur.

— Est-ce qu'un... troll m'est tombé sur la tête pendant la nuit ?

Le sorceleur ne réprima pas tout à fait son ricanement et se décida à se lever. À ses côtés, Jaskier émit un gémissement de protestation. Geralt haussa les sourcils dans sa direction.

— Qu'est-ce qu'il y a ? Tu veux que je reste au lit avec toi ? se moqua-t-il d'une voix doucereuse.

Le barde ouvrit grand les yeux, les joues rouges. Il se redressa brusquement, ramassant sa couverture comme pour se protéger. Ses cheveux bruns en bataille lui donnait des airs de chérubin froissé. Geralt se détourna. Il valait mieux ne pas s'attarder sur sa propre plaisanterie.

L'amour, les richesses et les heuresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant