Chapitre 5 - Retour au bercail

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La route menant à Kaer Morhen n'avait de route que le nom. Si le chemin était bien entretenu dans la vallée, il se transformait à la sortie du dernier village en sentier boueux, puis en piste filant entre les arbres, encombrée de branchages et de buissons.

Geralt menait Ablette par la bride, dégageant le passage à l'aide d'une machette dangereusement aiguisée. Il jetait régulièrement des coups d'œil par-dessus son épaule pour vérifier que Jaskier gardait le rythme. À chaque fois, le sorceleur sentait une douce chaleur envahir sa poitrine. Le barde était emmitouflé dans son nouveau manteau gris perle bordé de fourrure, un achat commun pour le voyage. Il menait lui aussi une monture, une mule placide chargée de provisions et de produits utiles pour l'hiver. Dans peu de temps, la route menant à la forteresse serait rendue inaccessible par les chutes de neige. Les habitants de Kaer Morhen seraient coupés du reste du monde.

— Alors... commença Jaskier, quand arriverons-nous ?

Geralt jeta un coup d'œil au ciel, à la position du soleil, aux nuages.

— Trois jours, si tout se passe bien.

— Je... Comment sont les autres sorceleurs ?

Geralt entendit clairement la note subtile de l'angoisse se glisser dans la voix du barde. Pourquoi était-il inquiet ? Il décida d'attendre un peu, pour voir ce que le jeune homme révèlerait dans sa prochaine question.

— Est-ce que... tu es proche d'eux ? reprit le barde.

Geralt prit le temps de réfléchir. Il fit un petit signe de la main à Jaskier pour lui demander de patienter. C'était un code qu'ils avaient établi ensemble, quand le barde avait compris que les silences du sorceleur étaient parfois une gestation, une nécessité pour organiser ses pensées et ses sentiments.

— Ce sont... mes frères, hésita Geralt, ce qui se rapproche le plus d'une famille pour moi. Eskel et moi avons le même âge, mais il a toujours été le plus sage. Il a la tête sur les épaules. Lambert est plus jeune. C'est un chien fou, mais son cœur est au bon endroit. Vesemir est un ancien. Il s'est toujours occupé de nous et continue de le faire, comme un père sévère, mais bienveillant.

Geralt jeta un nouveau coup d'œil vers Jaskier qui avançait, tête basse, pensif et toujours auréolé d'inquiétude. Que se passait-il dans la tête du barde ? Quelles idées incongrues s'agitaient derrière son regard brillant ?

— Comme tu te plais à me le rappeler sans cesse, barde, « utilise tes mots », grogna Geralt.

Jaskier pouffa. Il se passa la main dans le cou.

— Je me demande ce qu'ils vont penser de moi, admit-il avec un débit trop rapide. Ce sont des personnes importantes dans ta vie et moi... moi je ne suis qu'un barde, un nobliau de Lettenhove qui parcourt les routes pour écrire des chansons. Je ne sais pas me battre. Je...

— Jaskier, l'interrompit Geralt avec un soupir, tout se passera bien.

Le sorceleur ne savait pas très bien quoi dire d'autre pour rassurer le barde. Lui-même se posait évidemment des questions sur les réactions qu'auraient les membres de l'École du Loup en rencontrant Jaskier, mais l'appréhension était minime. Ce n'était pas tous les quatre matins que Geralt emmenait quelqu'un passer l'hiver là-haut. Il était impatient de présenter Jaskier à Eskel — ces deux-là parleraient de littérature et de poésie bien assez vite. Lambert attirerait le jeune homme dans ses mauvais coups et autres facéties. Ou ce serait l'inverse. Et Vesemir... S'il y avait une inconnue dans l'équation, c'était bien le vieux loup. Quelque chose soufflait toutefois à Geralt que Vesemir ne verrait pas d'inconvénient à recevoir un nouvel invité.

L'amour, les richesses et les heuresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant