Chapitre 18 - Qu'importe le flacon...

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Ce soir-là, au coin du feu, sur les tapis moelleux de la bibliothèque, les Loups de Kaer Morhen expertisèrent la formule alchimique. Vesemir, après avoir grogné sur ses élèves pour ne pas avoir accompli leurs tâches assignées ce jour-là, se départit vite de sa mauvaise humeur en écoutant le récit de la chasse au trésor. Il ne souriait pas, mais le feu qui brillait au fond de ses yeux ne mentait pas : lui aussi voulait connaître le fin mot de l'histoire.

À la lumière de l'âtre et des candélabres, on comparait la formule mystérieuse avec les ressources alchimiques à disposition. En listant les ingrédients, leurs caractéristiques et leurs combinaisons, on essayait de prédire les effets d'un mélange.

Jaskier avait vite déclaré forfait. Sur la Voie, avec Geralt, il avait appris quelques éléments de botanique et d'herboristerie et savait distinguer une poignée de fleurs et de racines utiles, mais ses connaissances s'arrêtaient là. Il écoutait la conversation voler d'une bouche à l'autre et s'émerveilla de l'autorité de Lambert sur la question. Le plus jeune sorceleur avait acquis un savoir encyclopédique sur les potions, élixirs et bombes. Il avait rassemblé tous ses carnets de voyage, alignant des pages arrachées à des grimoires perdus, montrant du doigt les similitudes entre deux recettes.

Confortablement installé au fond de sa bergère, sous une pile de couvertures râpeuses mais chaudes, Jaskier sentit la fatigue le rattraper. Il s'était emparé d'un autre journal à restaurer pour s'occuper les mains, mais ne l'avait même pas ouvert. Les voix bourrues des sorceleurs, devenues rassurantes et familières, le berçaient. Peut-être s'endormit-il. Peut-être était-il seulement suspendu dans l'entre-deux incertain de l'éveil et du sommeil.

Il lui sembla revoir la silhouette argentée du fantôme, adossée à la cheminée, lui aussi attentif à la conversation. L'homme barbu hochait la tête, comme s'il était d'accord avec les analyses de l'École du Loup.

Jaskier aurait dû être épouvanté ou s'agiter pour dénoncer l'apparition, mais un calme impérieux baignait son esprit dans une brume paresseuse.

Il observa le fantôme. C'était bel et bien un vieil homme barbu, vêtu d'un vêtement comme une aube de pénitent — ou un linceul. Ses longs cheveux étaient noués en catogan sur sa nuque. Il était très grand, peut-être plus grand qu'Eskel, mais mince. Un médaillon pendait à son cou, mais les détails du bijou restèrent flous. Pourtant, Jaskier n'eut aucun mal à deviner de quoi il s'agissait. C'était un médaillon de sorceleur.

Était-ce Aabye lui-même qui veillait sur son héritage ? Pourquoi Jaskier était-il le seul à le voir ? À moins que tout ceci ne soit qu'un simple rêve nourri par les histoires du solstice et les aventures de la journée...

Le fantôme se tourna vers lui et lui fit un signe de tête ; une reconnaissance, un remerciement.

Un bruit fit sursauter Jaskier. Ou le réveilla. Vesemir s'était levé, annonçant qu'il se retirait. Le barde se joignit d'une voix bredouillante au « bonne nuit, Vieux Loup » de rigueur. Et le fantôme ?

Disparu.

***

Vesemir parti, Eskel et Geralt se levèrent à leur tour, l'espièglerie au fond des yeux.

— Je propose un toast au succès de Lambert et du petit barde, annonça le premier, un sourire plein de fierté hésitant au bord de ses lèvres torturées.

— Tu parles d'un putain de succès, maugréa Lambert. On ne sait pas encore ce que c'est, ce foutu trésor.

— Vesemir a dit deux semaines pour faire fermenter le nerprun, tempéra Eskel. Après des années à tourner en rond autour de trois strophes, une quinzaine à patienter, ce n'est pas si long.

L'amour, les richesses et les heuresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant