Chapitre 7 - Dans le noir

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Jaskier se réveilla au cœur des ténèbres. Il avait pourtant l'impression d'avoir dormi pendant des heures. Il se redressa. Cilla. Plissa les yeux. L'obscurité n'était pas celle de la nuit. Elle l'entourait, l'engloutissait dans un étau implacable. Il n'y voyait rien du tout.

Une angoisse glacée resserra sa prise sur sa gorge, sur ses pensées. Que se passait-il ?

— Geralt ? appela-t-il.

Il n'entendait que

...des bruits de craquement...

les bûches dans la cheminée

...le glissement du tissu...

les fourrures sur le lit

...des sifflements aigus...

le vent dans les couloirs de la forteresse.

Pourquoi ne voyait-il plus rien ? Lui avait-on jeté un sort ? L'angoisse qui frémissait sous sa peau devint panique, l'empêchant de respirer, coinçant un sanglot au creux de sa poitrine. Quand la porte s'ouvrit dans un grincement soudain, Jaskier sursauta. Il recula précipitamment, sur le lit, se plaquant contre le mur derrière lui.

— Qu'est-ce qu'il a, le perdreau ? lança une voix traînante. Il empeste la peur à cinq lieues à la ronde.

Lambert, tenta de se raisonner Jaskier, ce n'était que Lambert. Même s'il était un peu hostile, le plus jeune sorceleur ne lui ferait pas de mal, pas vrai ? Le cœur de Jaskier battait la chamade, il ne parvenait pas à respirer.

— Hé, du calme, bredouilla Lambert, faut pas se mettre dans des états pareils. Qu'est-ce que...

Sa voix s'était rapprochée. Jaskier se recroquevilla sur lui-même. Il déglutit, toussa, essaya de retrouver la maîtrise de ses émotions, de son corps, mais c'était peine perdue. Sa tête lui tournait.

— Je... Je ne te ferai pas de mal, l'assura le jeune sorceleur. Du calme putain... Faut que tu respires. Je vais te toucher le bras, d'accord ?

Jaskier sursauta quand la main de Lambert se referma autour de son poignet, sans pour autant le contraindre. Le contact l'aida à se concentrer. Il parvint à souffler, à reprendre une respiration tremblante, incertaine.

— Voilà, l'encouragea Lambert. Qu'est-ce qui s'est passé ? Des cauchemars ?

Geralt avait déjà dit à Jaskier que les cauchemars n'étaient pas un sujet à prendre à la légère, qu'ils faisaient malheureusement partie du fardeau de ceux qui arpentaient la Voie. Il n'y avait plus aucune moquerie dans la voix de Lambert. Jaskier secoua la tête. Il lui fallut encore quelques secondes pour trouver la force de dire, avec horreur :

— Je ne vois plus rien !

— Tu as les yeux rouges comme un cul de goule, confirma Lambert. Ne bouge pas d'ici, je vais chercher Vesemir. Et les autres.

Jaskier voulut protester, il ne voulait pas rester tout seul dans les ténèbres, mais la pression sur son poignet disparut et le bruit léger des pas du jeune sorceleur se perdit dans le lointain. L'angoisse qui l'avait écrasé de sa terrifiante étreinte revint à la charge. Les questions se bousculaient dans son esprit, l'empêchant de se calmer : était-il vraiment aveugle ? Retrouverait-il la vue ? Vesemir aurait-il une solution ? Malgré lui, il sentait des larmes dévaler ses joues.

Cette fois-ci, il entendit les échos des pas rapides de plusieurs personnes retentir dans le couloir.

— Jaskier ?

Ça, c'était Geralt, son timbre grave et rauque. L'instant suivant, le jeune homme se sentit attiré contre le corps de son ami. Une main se glissa sous son menton pour lui faire relever la tête, peut-être pour l'orienter vers une source de lumière.

— Qui l'a laissé se promener dans le laboratoire au sous-sol ? exigea le ton sévère et réprobateur de Vesemir tout proche.

— Je l'ai amené ici hier, un peu avant le dîner, intervint une nouvelle voix — Eskel.

— Il a dormi toute la nuit, continua Geralt. J'ai quitté la chambre il y a une heure au plus. Je doute qu'il se soit amusé à se balader au sous-sol.

— Tu as mangé ou bu quelque chose d'autre que le déjeuner d'hier ? reprit Vesemir.

Jaskier secoua la tête. La conversation et les questions lui donnaient le tournis, mais il comprit que les sorceleurs essayaient de comprendre l'origine de son mal. Quand Geralt parlait, la vibration de sa voix profonde résonnait dans tout son corps. Au moins, sa présence solide et chaude lui apportait un peu de réconfort. Geralt et les membres de l'École du Loup allaient trouver une solution. Il le fallait.

— Eskel, viens voir, tu es plus sensible que nous à la magie, demanda Geralt.

Une énorme main à la peau sèche et pleine de rugosités se posa prudemment sur le front de Jaskier, sur ses joues. C'était comme si un infime courant électrique lui parcourait la peau et lui dévalait les nerfs en cascades irrégulières.

— Ça ressemble à une malédiction, avança Eskel.

Un gémissement de détresse se fraya un chemin dans la gorge de Jaskier, bien malgré lui. Une malédiction ? Mais pourquoi ?

— Vous avez croisé des sorcières, des druides ? demanda Vesemir.

— On voyage depuis le printemps, répondit Geralt. Je dirais... une ou deux herboristes à Velen, les mêmes que d'habitude. Le vieux shaman de Perchefreux. C'est tout.

Jaskier se creusait la cervelle à toute vitesse, mais l'émotion rendait ses souvenirs incertains, fuyants. Il avait l'impression que quelque chose lui échappait, comme des paroles de chanson oubliées, là, à la lisière de sa mémoire. Les mains d'Eskel s'écartèrent. Autour du barde, les sorceleurs échangeaient d'autres questions, d'autres hypothèses, mais aucune ne tenait la route.

— La bonne nouvelle, déclara Vesemir, c'est qu'une malédiction peut être levée et que c'est normalement de notre ressort. Eskel, toi et moi allons chercher dans la bibliothèque. Lambert se chargera de l'intendance. Geralt, occupe-toi de Jaskier et viens nous aider.

Les pas s'éloignèrent, dans des crissements de cuir et le grincement du battant de la porte. Il ne resta bientôt plus que Geralt dans la chambre, son corps inébranlable contre celui de Jaskier.

— Je suis désolé, croassa le jeune homme d'une toute petite voix.

— Ne dis pas de bêtise, le coupa Geralt. Tu n'y es pour rien. Nous allons trouver une solution.

Le cœur du barde, déjà lourd de son inaptitude de la veille, plongea dans un puits sans fond. Le sorceleur l'invitait pour passer l'hiver dans son foyer et lui ne faisait que lui créer des problèmes. Jaskier était un fardeau.

Le sorceleur s'écarta et Jaskier eut besoin de toute sa volonté pour ne pas gémir de cet abandon. Des bruits incertains retentirent dans la chambre et quelque chose fut posé sur les couvertures.

—Il y a de la nourriture et de l'eau près de ta jambe droite. Mange un morceau et essaie de te reposer, recommanda Geralt.

Jaskier n'avait qu'une seule envie : supplier son ami de ne pas le laisser seul, de rester auprès de lui, mais il doutait qu'une telle demande soit bien reçue. Il hocha faiblement la tête.

Le froissement du tissu, l'écho des pas, la porte qui se ferme.

Jaskier était seul. Il fit de son mieux pour pleurer en silence.

L'amour, les richesses et les heuresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant