Chapitre 4 - Prévoir l'hiver (II)

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Le sorceleur inventa une histoire convaincante d'esprit errant apaisé et la vieille propriétaire le paya comme prévu, mais ne voulut pas garder la couronne d'épines. Geralt attendit que Jaskier eût le dos tourné pour l'en coiffer. Quand le barde s'en rendit compte, un immense sourire éclaira tout son visage. Il garda le couvre-chef, dansant autour d'Ablette comme un feu follet. Geralt leva les yeux au ciel, exaspéré, mais un sourire se frayait un chemin sur ses lèvres.

— Je suis quand même un peu déçu de ne pas avoir rencontré Jacquot, dit Jaskier avec une moue boudeuse.

— Les célicoles se montrent rarement aux humains, répondit Geralt en montant en selle.

Jaskier acquiesça. À son réveil, le barde s'était souvenu de mauvais rêves qui s'étaient dissipés en un instant, le laissant errer dans une somptueuse forêt enchantée pour le reste de la nuit. En trouvant la couronne près de lui — et des feuilles mortes amassées à la porte de la chambre, le barde avait compris qu'il avait manqué l'attraction principale. Pour une fois, Geralt avait accepté de tout lui raconter sans trop se faire prier.

— Il faudrait que tous tes contrats se passent de la sorte, remarqua Jaskier.

Geralt haussa les épaules. Autant prier pour la paix dans le monde et l'amour entre toutes les créatures de la terre. Il donna un petit coup de talon à sa monture qui s'ébranla en secouant sa crinière. Il fallait repartir. Le sorceleur espérait qu'ils puissent traverser le Pontar avant la nuit. Plus la saison avançait, plus les journées se faisaient courtes et froides. L'hiver serait rude et précoce.

À côté d'Ablette, marchant d'un bon pas, Jaskier chantonnait une nouvelle mélodie. Avec son pantalon et son doublet bleu, la couronne du célicole et ses joues roses, il ressemblait à une fée, un esprit de la forêt en vadrouille. Il aurait plus été à sa place dans un conte ancien que sur les routes boueuses. Allait-il apprécier Kaer Morhen ? Le jeune barde trouverait sans aucun doute du charme aux vieilles pierres délabrées, mais Geralt craignait que cette impression se dissipât bien vite. La forteresse était froide, sinistre et pleine de souvenirs amers. On trouvait bien du réconfort près du feu, dans la chaleur de la cheminée, à manger, boire et discuter avec...

— Je vais rencontrer d'autres sorceleurs ? interrogea Jaskier.

Geralt ne sursauta pas, mais seulement parce que ce genre de réactions ne faisait plus partie de son vocabulaire corporel depuis des décennies. Au lieu de ça, il scruta le barde pour déterminer si celui-ci avait récemment acquis le pouvoir de lire ses pensées. Geralt plaqua sa main sur son médaillon, mais celui-ci était resté immobile. Pas de magie à proximité, seulement Jaskier avec son regard éperdument bleu et empli de curiosité.

— Oui, répondit Geralt.

Il se tut. Jaskier fit la moue. Il donna une tape sur la jambe du sorceleur qui haussa un sourcil légèrement menaçant.

— Combien ? insista Jaskier. Comment s'appellent-ils ? À quoi ressemblent-ils ? Est-ce qu'ils...

— Tu verras bien, le coupa Geralt.

Une nouvelle tape claqua contre sa jambe, suffisamment forte pour qu'Ablette pousse un soupir de mécontentement. Geralt foudroya du regard le barde qui ne baissa pas les yeux. Aucun humain sensé ne provoquait physiquement un sorceleur, sans être soûl ou suicidaire. Jaskier n'était ni l'un ni l'autre, mais il lui manquait un pan entier d'instinct de survie. Geralt soupira.

— Vesemir passe toute l'année à Kaer Morhen, expliqua-t-il. C'est notre... instructeur. Les autres ne viennent que pour l'hiver. Il y a presque toujours Eskel et Lambert, parfois d'autres, mais c'est rare.

— Vesemir, Eskel et Lambert, répéta Jaskier qui faisait rouler ces nouveaux prénoms sur sa langue comme pour en apprécier la saveur exotique.

L'amour, les richesses et les heuresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant