Chapitre 9 - Frères

45 1 0
                                    

Les empreintes dans la neige étaient faciles à suivre. Elles épousaient la route sous les arcades dénudées des arbres, mais bifurquèrent dans les bois de bouleaux et prirent de l'altitude. Geralt contourna des rochers escarpés aux profils torturés et repéra les traces de sang. Quelques gouttelettes fraîches. Des plumes blanchâtres brisées. Un lagopède, probablement.

L'odeur d'Eskel était là, légère, éphémère : peau de chèvre, pommes à cidre et... huile contre les créatures hybrides. Pourquoi cette huile ? Il avait dû en enduire son épée en repérant un monstre. Il n'y avait pourtant pas d'autres traces au sol.

Un chœur de cris aigus cingla dans l'air.

Des harpies.

***

— Je m'en sortais très bien tout seul, déclara Eskel en essuyant sa lame.

— C'est pour ça que tu es couvert de plumes, frangin, s'amusa Geralt.

— Je me fais beau pour notre barde.

Geralt ferma les yeux, un soupir aux lèvres. Eskel était dans ses conversations aussi précis qu'avec son arbalète. Il frappait en plein cœur.

Les deux sorceleurs empilèrent les carcasses sans vie des harpies sur les restes de leur nid et y mirent le feu d'un Ignii conjoint et efficace. Le brasier servirait d'avertissement. Ce genre de nettoyage était inévitable d'une année sur l'autre. Quelques monstres profitaient du printemps pour s'installer aux abords de la forteresse, quand Vesemir y était seul. Le vieux loup s'occupait des plus inquiétants, mais attendait ses étudiants pour le grand ménage hivernal. Endriagues, harpies, wargs, jeunes griffons... Les sorceleurs s'en chargeaient à tour de rôle quand des nids ou des traces étaient repérées.

— Tu veux en parler ? demanda Eskel.

Geralt croisa ses bras sur sa poitrine, s'adossant au tronc d'un pin. Il amorça le geste qu'il utilisait avec Jaskier pour lui demander du temps et s'interrompit, regardant sa main comme si elle appartenait à quelqu'un d'autre.

— Je... Jaskier, commença-t-il.

— C'est lui, confirma Eskel.

Un sourire dansait sur son visage, pas tout à fait assumé.

— Il... Je ne sais pas ce qui m'a pris, soupira Geralt. Le laisser me suivre. Il devrait être à l'académie d'Oxenfurt ou dans une cour royale quelque part, à chanter ses chansons, à séduire des jeunes filles en fleur ou que sais-je.

— Mais il a choisi de venir avec toi, je me trompe ?

Geralt releva la tête, croisant le regard bienveillant de son frère.

— Pour tout le bien que ça lui a fait ! Il ne se rend pas compte du danger, il risque sa vie et maintenant se retrouve aveugle ! C'est de ma...

— Et voilà le monstre que le grand Geralt de Rivia n'a jamais pu vaincre, triompha Eskel. Sa culpabilité mal placée ! Écoute Geralt, Jaskier a choisi de te suivre, j'imagine depuis quelques temps, car tu l'as invité ici. Il a vu la Voie. Il t'a vu travailler. Il a vu ce que nous affrontons chaque jour. Et il reste à tes côtés. Pourquoi, à ton avis ?

Geralt haussa les épaules, agacé.

— Je lui ai demandé ! protesta-t-il. La réponse change à chaque fois : pour redorer le blason des sorceleurs, pour écrire des chansons, pour voir le monde...

Eskel secoua la tête, avec un formidable soupir.

— C'est toi qui es aveugle, Geralt.

Sur cette sentence, Eskel reprit la route de Kaer Morhen, sa silhouette massive se perdant entre les arbres.

— Le dernier arrivé nettoie les latrines ! lança-t-il.

Geralt jura entre ses dents.

L'amour, les richesses et les heuresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant