Chapitre 12. II.

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Alors que le kraken émergeait au-dessus d'elle, Meredith demeurait dans les profondeurs, la tête rejetée en arrière, guettant la surface avec une impatience brûlante, ardente. Elle attendait. Mais qu'attendait-elle ?

Qu'Erik se noie ?

Ca n'avait jamais réellement fait partie de ses plans ou de ceux de la Lune. Ils étaient tous autres. L'homme n'était pas destiné à se noyer... Un rire sans joie la secoua soudain. Imaginer la fin du faucheur lui laissait un drôle de goût au creux de la langue. Celui de ses baisers de la nuit dernière. Celui de la trahison. Celui de la haine. Celui du sang qu'elle aimait tant faire couler. Mais tout cela avait-il la moindre importance ?

Imaginer la fin du faucheur la replongeait forcément un millénaire en arrière, lorsqu'elle avait vécu une saison entière à ses côtés avant de noyer la cité entière. Elle revoyait aussi nettement que si la scène se déroulait sous ses yeux, le roi en proie au désespoir alors qu'elle lui révélait sa véritable nature. Elle ressentait la morsure du métal dans son cœur...

Le cœur... Battant, il était synonyme de vie. Brisé, de malheur. Saignant, de souffrance. Arraché, de mort. La Mort arrachait les cœurs. La Lune, elle, les corrompait.

Et Meredith avait un cœur.

De toutes ses sœurs, elle avait toujours été la seule sirène capable d'amour. C'était pour cela, parce qu'elle pouvait ressentir ce sentiment, que Meredith s'était toujours aimée plus que tout. Et au fond d'elle, elle avait toujours voulu qu'on l'aime autant qu'elle s'aimait. C'était pour cela qu'on l'envoyait elle, lorsqu'il s'agissait de feindre l'amour. Elle était trop bonne à ce jeu. Mais c'était un jeu auquel il était si aisé de se laisser prendre...

Ça avait été le cas avec Erik.

Elle avait été envoyée pour le séduire, pour détruire sa cité, pour le détruire. Elle l'avait séduit, et il l'avait aimé. Il l'avait aimé et contre-tout, contre elle-même, malgré elle-même, elle l'avait plus ou moins aimé elle aussi. À sa façon. Elle s'était laissé bercer par ce sentiment d'entière satisfaction qu'était celui de tout représenter aux yeux de quelqu'un. Elle s'était laissé envoûter par son propre stratagème. Et cela avait été si bon... Si bon d'être aimée, de feindre aimer et puis qui sait... De peut-être véritablement aimer.

Elle en gardait le souvenir dans sa chair, dans son cœur. Une douce chaleur digne des plus beaux brasiers de l'enfer. Elle était prête à y brûler si c'était cela. Mais la sirène n'était pas créature de feu. Elle appartenait corps et âmes à l'océan. Enfin... Pour cela encore fallait-il qu'elle ait une âme. Elle avait jouit de l'amour.

Entièrement.

Malgré tout, cela ne l'avait pas empêchée d'accomplir sa mission. De tuer la reine Astrid d'une dague en plein cœur, de lui dérober les clés de la cité, d'ouvrir la digue et de simplement laisser les flots tout démolir, tout engloutir. De simplement tout détruire.

Et cela avait entraîné sa propre destruction. Sa main se posa sur sa poitrine, là où la dague d'Erik s'était enfoncée dans son cœur. Elle en gardait une cicatrice, comme pour lui rappeler ce pour quoi elle était là. Mais après tout, ne lui avait-elle pas dérobé son cœur ?

Un rire sans joie la secoua alors que ses doigts se crispèrent plus encore autour du sable des profondeurs. Elle luttait contre sa volonté féroce de monter à la surface afin d'assister à la fin du faucheur.

Pas encore. Pas maintenant.

Non, il n'était pas encore l'heure. Elle ferma les paupières. Mauvaise idée... Les souvenirs affluèrent avec plus de férocité.

Les Faucheurs III - Chant MortelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant