« Sous les agitations de la surface,
Loin, loin, dans le calme des abysses,
Enveloppé de son très vieux sommeil sans rêve,
Repose le Kraken.
De faibles reflets de lumière
Frôlent ses flancs ténébreux.
Des éponges géantes, millénaires,
L'entourent.
Dans la pénombre des cavernes infinies,
D'énormes poulpes
Démêlent de leur bras la verte statuaire.
Il s'y repose depuis les premiers âges
Et toujours monstrueusement grandit,
Dévorant d'immenses vers marins,
Jusqu'à la Fin des Temps, le dernier incendie,
La rouge Apocalypse.
Alors, pour la première fois,
Il sera vu des hommes et des anges.
Il se réveillera dans l'horreur pourpre,
Il montera à la surface
Et y mourra. »Traduction du poème Le Kraken
de Tennyson, 1830
*
Parfois, l'illusion est illusion elle-même.
Meredith était enragée. Contre lui, contre elle.
Que lui avait-il pris de dire cela à son ancien amant lors de leur retrouvaille ?
Et que lui avait-il pris à lui de lui dire cela à présent ?
Ce misérable faucheur pensait-il vraiment qu'un simple baiser convaincrait la sirène d'abandonner la Lune pour se consacrer au bien ? Était-il naïf ou fou ? Avait-il perdu la sagesse ou la raison ?
Toute trace d'humanité avait disparu dans le cœur de la terrible créature. Même là, dans le calme des profondeurs, elle ne parvenait pas à oublier le navire au-dessus de sa tête et le faucheur qui se trouvait à son bord.
À la pensé d'Erik, son cœur maléfique se trouvait partagé entre deux vives émotions alors qu'elle demeurait dans l'incapacité la plus totale à définir. Elle, la créature de l'océan, brûlait. Elle brûlait sans savoir pourquoi. Et elle voulait que le feu qui la ravageait détruise tout autour elle. Qu'il le détruise.
La Lune comptait sur elle.
Même là, loin de la surface, elle sentait l'influence de sa déesse. Elle était incapable de dire si celle-ci était furieuse ou satisfaite de ce qui s'était passé. Mais cela n'avait plus d'importance. C'était à présent que ses dons de sirènes entraient en jeu.
Elle avait fermé les yeux, laissant simplement l'instinct millénaire de l'océan lui dicter sa conduite. Sous ses doigts, le sable gris des profondeurs roulaient avec la même douceur que la caresse d'une plume de mouette... dissimulant ses promesses morbides. Meredith sentit soudain les grains fins laisser place à une surface lisse et solide sous sa paume. Un léger sourire lui échappa et d'une voix douce, elle siffla :
« Ô, créature de la mer, entend mon appel... Depuis trop longtemps, te voilà plongé dans un profond sommeil... Écoute moi, car est venu le temps de ton éveil ! »
Un instant, ses mots se perdirent dans le vide des profondeurs. Brusquement, le sol s'ébranla et le sable se retrouva projeté dans l'eau, formant un nuage obscure. Autour d'elle, il lui sembla que les abysses prenaient vie pour s'élever. L'océan étendait ses tentacules, sortant de sommeil millénaire. Un rugissement terrible se propagea dans l'ondée, plus rapide que les courants.
La sirène leva la tête alors même que le nuage de poussière se mettait à tout dévorer autour d'elle, jusqu'à ce qu'elle disparaisse elle-même. Seul son regard jaune resta un instant perceptible dans ce vortex nébuleux.
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Les Faucheurs III - Chant Mortel
Fantastique- Ceci est le troisième tome de la saga des Faucheurs. Bien qu'il puisse normalement se lire indépendamment, il est conseillé d'avoir lu les deux tomes précédents - On dit que le chant des sirènes est un poison qui s'infiltre en nos êtres pour nous...