Le lendemain, lorsque j'arrivai à la Milice, j'avais visionné trente heures d'enregistrement en accéléré, dormi quatre heures, et je m'étais masturbé cinq fois. Mais Dravenn battait peut-être mes scores car quand il entra dans la salle des archives, il était pâle, et ses yeux étaient mangés de cernes.
Il me lança un « bonjour » machinal, auquel je répondis sur un ton plus chaleureux. Il avait l'air complètement à bout, et il n'était pas encore sept heures du matin.
Nous rencontrâmes l'équipe de nuit aux archives, ces pauvres gars qui étaient payés à mater des enregistrements où il ne se passait rien : des gens entraient et sortaient d'un immeuble. Pendant sept-cent vingt heures. De quoi devenir fou.
Nous nous étions réparti les hologrammes et avions déjà identifié les trente-sept locataires de l'immeuble, ce qui nous avait permis d'isoler des clichés de toutes les personnes non-identifiées. À nous six – Dravenn, moi, et les quatre archivistes de l'équipe de nuit – nous avions déjà visionné deux-cent quinze heures d'enregistrement. Et nous avions quatorze suspects.
Ce nombre grimpa à dix-sept à midi, et nous pouvions ajouter une cinquantaine d'heures supplémentaires aux enregistrements déjà visionnés. La matinée s'était écoulée devant des holographes dans un silence seulement accompagné du faible bourdonnement des machines et de la ventilation.
Nous fîmes une courte pause repas, Dravenn et moi, et mangeâmes quelque chose d'un peu moins répugnant que la veille en échangeant seulement quelques mots. Après avoir rapidement avalé nos plats à emporter dans le vaisseau, nous retournâmes à l'immeuble pour faire identifier les dix-sept inconnus par les habitants.
Dravenn était très silencieux. Sa peau avait une délicate teinte rose, ses yeux étaient fixes et les perles de transpiration sur son front indiquaient qu'il commençait à avoir de la fièvre. Dans l'ascenseur, je plongeai mon regard dans le sien, sans rien dire et il se détourna. J'étais furieux qu'il me fasse si peu confiance, alors que nous étions en mission ensemble, et que son état était vraiment préoccupant. Nous ne nous connaissions pas beaucoup, mais je ne l'aurais jamais trahi !
Mais à bien y réfléchir, il fallait reconnaître qu'il ne pouvait pas le savoir, puisqu'il ignorait qu'il m'obsédait complètement...
Interroger les habitants de l'immeuble nous prit trois heures. Pourtant, seulement huit appartements sur les dix-huit nous ouvrirent leurs portes. Les autres locataires travaillaient, où avaient quitté l'immeuble parce qu'ils ne s'y sentaient plus en sécurité, à cause de l'attentat. J'avais envie de m'arracher les cheveux. Cette seule misérable piste ne conduisait nulle part, et nous n'avions aucune autre information sur les terroristes : aucun cheveux, aucune empreinte, pas un morceau de vêtement, ou de peau... Et tous les produits achetés par les terroristes avaient été commandés et livrés à domicile dans la boîte à colis de l'appartement, ils avaient été réglés à partir d'un compte bancaire appartenant à un homme mort depuis quatorze dans... et qui vivait sur une autre planète. Ils n'avaient pas fait une seule maladresse dans les livraisons de produits qui auraient permis de remonter jusqu'à une identité. Des fantômes !
Ces trois heures ne nous permirent d'identifier que six personnes sur nos dix-sept suspects. Et encore, l'un des locataires n'était pas certain d'avoir reconnu son frère sur l'image. C'était à devenir fou.
Jeryl qui n'avait toujours pas été sorti du coma artificiel ne pouvait pas témoigner, et nous n'étions de toute façon pas sûrs qu'il se souvienne de quelque chose.
Piétiner ainsi m'énervait, et Dravenn était tendu comme jamais.
Nous rentrâmes finalement à la base et nous réinstallâmes en soupirant devant les holographes. Les enregistrements holodrones semblaient passer à une lenteur impossible, même en accéléré.
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Les Confins - 1. Dysis
Science FictionAzthar est lieutenant dans la Milice de Dysis. Il vit seul, a plus d'amants par semaine que d'heures de sommeil par nuit, et fantasme secrètement sur Dravenn, son collègue. Dravenn, lui, protège un secret bien plus inavouable et reste prudemment à l...