Après l'incandescence d'un instant très prometteur qui fut très, très proche de terminer à nouveau sur la couchette, nous fûmes interrompus par un message de la base. On demandait à Dravenn de se rendre dans le bureau de Qeithar dès son retour. Le message avait quelque chose de pressant qui nous inquiéta.
— Je viendrai avec toi, décidai-je.
C'était sans appel, mais de toute façon il ne refusa pas. L'ambiance venait de passer de sulfureuse à tendue et Dravenn hocha simplement la tête avant de se rassoir dans son fauteuil, visiblement anxieux.
Je me demandais alors si cette menace suspendue au-dessus de sa tête, il en ressentait le poids à chaque fois qu'on le convoquait, à chaque fois qu'il recevait une holotransmission officielle. Il devait parfois avoir la sensation de vivre comme un criminel craignant le jour où sa cavale prendrait fin. Peut-être était-ce pour cette raison qu'il était un si bon milicien. Il avait un pied de chaque côté de la barrière.
Il n'avait rien fait de mal pourtant. Il n'était en infraction que parce que nos lois étaient injustes.
Nos lois étaient injustes.
Cette pensée me fit l'effet d'un coup de poing dans le ventre. Je n'en avais jamais été convaincu à ce point et il me sembla que mon monde s'effondrait. Mon monde rassurant et sans questions, où je savais qui j'étais, où je savais toujours ce que je devais faire, où j'avais l'absolue conviction de faire le bien...
Je me laissai également retomber dans mon fauteuil. Au milieu de ce chaos, Dravenn, lui, était d'une immobilité frappante. Il ne se battait pas pour changer le monde, il était devenu milicien pour protéger les faibles malgré l'injustice des lois, il faisait toujours ce qui devait être fait, même quand cela lui coûtait.
J'aurais voulu l'atteindre, lui faire comprendre qu'il n'était pas seul. Mais je n'étais pas très bon pour remonter le moral. Et Dravenn, fidèle à lui-même, n'avait pas besoin qu'on lui tienne la main ou qu'on le réconforte. Il ne me demanda rien. Il fixa le désert un moment, puis il tourna les yeux vers moi.
— Je suis avec toi, dis-je seulement.
Il hocha la tête. Nous nous regardâmes en silence et cet échange me calma. Je vis ses épaules retomber lentement, son souffle ralentit, ses sourcils se défroisser. Je ne le quittai pas des yeux, le voir se détendre m'apaisait.
Ce qui nous unissait était étrange, c'était différent de la manière dont on m'avait décrit les liens entre érastes et éromènes. Avec une autre personne, j'aurais été mal à l'aise de prolonger un regard d'une telle intensité, surtout sans se parler. Mais cet échange éloignait toute incertitude, toute inquiétude. Quand je regardais Dravenn, j'avais le sentiment qu'il était la réponse à toutes mes questions. Et je devais être la réponse aux siennes parce que terrassé par la fatigue et l'effet de mes hormones, il s'endormit en me regardant.
Je le réveillai d'une pression sur l'épaule, quelques heures plus tard, lorsque nous arrivâmes à la base de la Milice. Nous sortîmes du vaisseau en emportant nos affaires et rejoignîmes directement le bureau de Qeithar.
— Capitaine, le salua Dravenn.
Qeithar n'eut pas le temps d'ouvrir la bouche que Moath entra dans le bureau à notre suite et referma la porte.
Moath. Qu'est-ce qu'il faisait là ? Il connaissait la véritable nature de Dravenn et il avait eu un comportement insistant à son encontre, depuis l'explosion. Je n'aimais pas du tout le savoir ici, dans un moment pareil.
Je sentis Dravenn se tendre imperceptiblement à côté de moi, et je forçai mon esprit à réfléchir moins vite, j'interdis à mes muscles de se contracter, et je me préparai à faire preuve de sang-froid, comme dans tous les combats de ma vie.
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Les Confins - 1. Dysis
Science FictionAzthar est lieutenant dans la Milice de Dysis. Il vit seul, a plus d'amants par semaine que d'heures de sommeil par nuit, et fantasme secrètement sur Dravenn, son collègue. Dravenn, lui, protège un secret bien plus inavouable et reste prudemment à l...