Chapitre 6 : L'Alba Rupes

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– Ca aurait pu très mal finir !

– Mais arrête de râler... cela s'est bien terminé, non ? Et tu as adoré la bagarre.

Damas répondait à Abba, en riant, un verre de schelentia à la main, une pipe d'herbes dans l'autre. Il faisait nonchalamment face au géant ; à côté de lui, elle aussi installée confortablement dans un large fauteuil de rotin, Alterma souriait largement. Seul Jawaad qui écoutait affalé sur un siège à la romaine, le dos appuyé contre le mur de la terrasse, ne participait pas à la discussion. Il avait bien trop parlé de la journée. Il dégustait un thé presque parfait, c'est à dire acceptable de son point de vue, préparé par Azur elle-même. La plupart des esclaves de sa maisonnée -et il y en avait une bonne dizaine- savaient le faire, mais elles ne se battaient pas trop pour s'y essayer tant Jawaad restait difficile avec ce point, une de ses pires manies. Alterma jubilait, oubliant le léger bleu sur sa joue gauche.

– C'est allé tellement vite que je n'ai même pas réfléchi !

Abba allait lâcher un sermon, ce qui ne ferait que le vingtième depuis le retour de la troupe au domaine de l'Alba Rupes, mais Damas le devança en éclatant de rire :

– Ha ça ! J'étais parti pour devenir vraiment méchant avec ces gardes quand la gifle est tombée, mais... tu as réussi à me surprendre. Il doit avoir encore à s'en frotter le cul et les côtes de douleur. Quel vol plané ! Presque digne d'un jemmaï !

Alterma rougit, à mi-chemin entre l'effet du vin doux surmaturé qu'elle dégustait et celui du compliment d'un guerrier jemmaï pure souche. Abba grommela, lui aussi affalé lourdement dans un fauteuil de cuir tendu qui souffrait sous son poids. Sa main libre trifouillait tendrement la chevelure rousse de Joran, sa minuscule et adorable esclave personnelle, installée sur un coussin à ses pieds, tel un chaton ravi.

– Ce qui m'agace le plus, râla-t-il enfin, c'est que je n'ai rien vu et rien compris. Je parle à Jawaad et, la seconde d'après, je vois un sergent Elegiateri qui vole, avec casque et armes en vrac. J'ai sorti les poings, je n'allais pas regarder sans bouger non plus, mais en général j'aime bien savoir qui a commencé et comment avant de mettre des baffes !

Alterma fit une moue faussement penaude :

– En fait, c'est moi.

Damas répliqua :

– Ha non, c'est lui !

Abba soupira :

– Bon, vous me racontez ?

Et l'histoire commença. Joran ouvrit de grands yeux en écoutant le récit qui allait enfin expliquer pourquoi et comment son maître était revenu avec quelques bleus et les phalanges abîmées. Un détail dont elle n'allait pas se plaindre ; elle s'était empressée de saisir l'occasion de soigner ses égratignures et chouchouter le géant. La jeune femme s'installa contre le genou d'Abba, laissant couler sa masse de cheveux couleur de feu qui dégringolait au sol. Contre lui, la différence de taille entre l'esclave à la peau claire constellé de taches de rousseur et l'immense montagne vivante couleur d'ébène qu'était l'esclavagiste frappait remarquablement.

Ce fut Alterma qui entama le récit, fière et ravie de pouvoir narrer son récent exploit :

– Hé bien, le sergent s'était donc planté devant nous tous, en fixant tant Jawaad que la fleur de synthaïa au sol. Il était évident qu'il avait la ferme intention de profiter de l'événement pour faire du zèle devant le parterre des marchands et des nobles de la ville. Je crois que c'est le regard de Jawaad qui l'a vraiment fâché : on aurait un peu dit qu'il fixait, avec tout le mépris du monde, un gros tosh gras qui se serait trouvé sur son chemin et je crois que le sergent n'a pas apprécié. C'est là que... j'ai fait une petite bêtise.

Les Chants de Loss, Livre 1 : ArmanthOù les histoires vivent. Découvrez maintenant