Chapitre 7 : Sonia

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Les trois esclaves n'avaient pas revu Sonia ni Priscius. Magenta, l'esclave qui les avait surveillées pendant l'absence de l'éducatrice, patienta pendant ce qui semblait une éternité sans jamais permettre à aucune des trois captives en dressage de parler ou de bouger. Le moindre manquement se soldait par la décharge de l'aiguillon. Elle semblait n'avoir pas plus de pitié que sa consœur mais elle avait retenu l'avertissement et les décharges étaient faibles. Sonia avait, pour Magenta, le rang d'une supérieure et elle l'appelait d'ailleurs maîtresse, comme elle l'aurait fait, astreinte à cette règle, devant une femme libre par respect.

Magenta était l'assistante de Sonia et, officieusement, son souffre-douleur. L'esclave avait une trentaine d'années et appartenait à Priscius, qui l'avait éduqué lui-même depuis son quinzième anniversaire. Elle portait ce nom pour la couleur de ses yeux, d'un rose vif, un trait rare et exclusif aux peuples des archipels de l'Imareth. Avant l'arrivée de Sonia, Magenta était la seule éducatrice de l'esclavagiste ; mais cette dernière, en sa qualité de Languiren, l'avait détrônée sans mal, cinq ans auparavant. Elle restait certes une des favorites de Priscius, mais elle avait mal vécu sa rétrogradation au rang de seconde dans l'éducation des filles de la maisonnée, ce qui n'était rien en comparaison de ses frustrations et colères devant les tours odieux et méprisants que Sonia lui faisait endurer. À la différence de celle-ci, Magenta était d'une obéissance non seulement sans faille, mais presque militaire dans la discipline qu'elle imposait aux captives en formation, quand Sonia semblait quant à elle dédaigner le respect des ordres de Priscius, sauf si cela servait ses intérêts ou son travail d'éducatrice.

Plus de deux heures passèrent pour les trois jeunes femmes dans un douloureux supplice, un calvaire d'autant plus cruel que la moindre tentative de bouger était immanquablement punie et que, forcées à l'immobilité, elles souffraient aussi de soif. La plus rebelle des deux soeurs, toujours bâillonnée, tenta bien plusieurs bravades rageuses, mais en vain. Enfin, alors que le jour tirait à sa fin, un des hommes de main de Priscius vint pour les détacher. Celui-ci, un athémaïs massif et musculeux, aux yeux dessinés de khôl et aux oreilles ornées de lourdes boucles d'argent chassa d'un aboiement hargneux Magenta et procéda méticuleusement pour attacher le collier de chaque fille à la suivante, les libérant des anneaux au fur à mesure. Il les traitait tel du bétail dont on s'assure la docilité.

La plus âgée des deux terriennes, décidément têtue, tenta de se débattre et de le frapper hargneusement. La gifle qu'il lui lança d'un revers donna l'impression qu'il aurait pu assommer un buffle ; elle roula au sol après une voltige, sonnée. Lisa hurla de peur. Cénis retint quant à elle un cri d'effroi, dans un claquement de mâchoires.

Lisa tenta de se redresser pour porter secours à son aînée. Cénis lâcha un " non ! " entre ses dents en se penchant vers elle ; elle savait très bien ce qui se passerait si jamais la jeune femme intervenait. Son mépris de principe pour la barbare venait de céder le pas à l'instinct de préserver une camarade de leur funeste destin. Magenta, que l'assistant de Priscius avait chassée telle une mouche, se tenait à quelques pas et reculait un peu, observant la scène partagée entre crainte et intérêt.

L'aînée suffoquait, étourdie. Au-dessus d'elle, l'homme décrocha de sa ceinture un fouet plat, long comme deux mains, fait d'un cuir lisse et rigide. Il donna une volée de coups, visant les cuisses, le dos, les fesses et même le bras que la jeune femme tendait pour se protéger de son bourreau. Hurlant des ordres, que Lisa ne pouvait pas plus comprendre que sa sœur aînée, il força celle-ci à retourner à sa place, rampant presque sous les coups cinglant l'air et claquant sur sa peau en la faisant rougir. La jeune captive rousse criait en suppliant, en même temps que son aînée qui pleurait de douleur. Cénis, livide et figée, en avait des haut-le-cœur et Magenta avait disparu en optant pour la fuite prudente, préférant ne pas se retrouver visée elle aussi, emportant avec elle l'aiguillon et sa charge de loss, sans savoir qu'elle venait d'accomplir un geste d'une grande prudence tandis que grandissait la terreur de Lisa.

Les Chants de Loss, Livre 1 : ArmanthOù les histoires vivent. Découvrez maintenant