Jawaad consultait un carnet à la reliure de cuir bon marché, affalé dans un fauteuil que d'aucuns auraient considéré comme spartiate au vu du luxe qu'il aurait pu se payer. Jambes croisées, une botte calée sur le bureau, il profitait de la lumière que dardaient les derniers rayons du soir, une main tournant les pages, l'autre caressant la chevelure d'or tirant sur l'ocre de la jeune femme qui dormait bras et tête reposant sur sa cuisse, après avoir tiré un épais coussin à ses pieds.
L'esclave était belle, encore plus ainsi assoupie ; son visage éclairé par la douceur des derniers feux du jour exprimait une sérénité sincère. Elle était presque nue. L'avantage de l'été d'Armanth est qu'il fait si chaud que qui peut se dévêtir ne se fait pas prier.
Le peu qu'elle portait aurait pourtant payé quelques grammes de loss-métal. Une tunique de soie diaphane aux teints safran, largement fendue à ses flancs, seulement retenue par des cordelettes tressées de fil d'or, profondément échancrée sur sa poitrine et son dos aux muscles fins, constituait son seul vêtement. On aurait presque pu faire tenir l'entièreté de l'étoffe dans un poing fermé. Elle portait des sandales légères dont les lacets, eux aussi de soie safran, remontaient à mi-mollet. Enfin, le reste de sa parure constituait en des bracelets de fils de cuivre tressés ornés de perles de jaspe et de béryl aux couleurs chamarrées. Ceux de ses chevilles s'agrémentaient de petites clochettes d'argent.
Jawaad quitta un instant des yeux sa lecture pour les poser sur Azur. L'esclave lui appartenait depuis presque dix ans. Il ne l'avait pas achetée, elle était encore une femme libre quand il l'avait rencontrée, non loin d'Allenys. C'était une Ar'hanthia, d'un peuple de nomades très pieux, suivant les grands troupeaux de ghia-tonnerres de leur presqu'île, qu'ils considèrent comme sacrés. Il commerçait avec eux et l'avait retrouvée cachée dans la soute de son navire. Elle se nommait Her'eena, à l'époque.
Elle avait fui le mariage arrangé où elle devait être offerte au fils d'un chef de clan voisin, étant elle-même fille du chef de sa tribu. Le châtiment qui l'attendait dès lors qu'elle avait commis cette trahison était, si elle avait de la chance, l'asservissement, en étant revendue loin des siens par son propre père ; si elle n'en avait pas, une mort cruelle. Il ne lui restait que le seul choix de supplier Jawaad de l'emmener loin du courroux de ses parents ; le marchand en avait profité :
– Tu sais ce que cela peut signifier, selon les lois de ton peuple, qu'une femme supplie un homme ?
Her'eena le savait fort bien ; toute femme redevable d'un homme chez les Ar'hanthia pouvait être amenée à devoir payer sa dette par l'asservissement ; une coutume édictée disait-on par le Concile, que l'on retrouvait au nord des Mers de la Séparation, jusqu'à l'Hégémonie, bien qu'elle fût rarement invoquée ailleurs. Elle n'avait pu qu'acquiescer, avant d'ajouter :
– Mais tu me libéreras, si j'accepte ?
Jawaad avait lâché un bref sourire que la jeune femme, qui ne le connaissait pas, n'avait pas compris.
– Jamais je n'affranchis mes esclaves ; par contre, j'en ai déjà revendu.
– Mais comment pourrais-je redevenir libre ? Si... si je te le demande, tu accepteras de me revendre à mon grand-père ? Il m'affranchira, il comprendra, il te remerciera même de ton geste et il te paiera bien !
– Soit. Mais chez moi, la coutume est claire : une femme libre ne peut pas être asservie, sauf si elle commet un crime grave... ou si elle se soumet à celui à qui elle souhaite appartenir.
Her'eena avait accepté, naïvement. Elle s'était même mise à genoux, baissant la tête devant son étrange sauveur pour montrer la résolution de son geste, lui exposant son cou en écartant ses cheveux. Elle se donna à lui selon ses coutumes, croyant bien choisir en qui elle plaçait sa confiance et sa vie, même si elle n'avait plus aucune autre alternative. Elle ne vit donc jamais le second sourire qui fit briller le regard sombre de Jawaad :
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Les Chants de Loss, Livre 1 : Armanth
FantasyJawaad le maitre-marchand est connu comme le loup blanc, pour son caractère solitaire et misanthrope, pour ses secrets, sa vie aventureuse et ses amis étranges. Et pour sa richesse, dont il semble dédaigner les avantages. Ce qui est sûrement sa plus...