Chapitre 14 : Les Ordinatorii

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Les choses ne se passaient pas du tout comme prévu.

Jawaad se gratta le menton, en apparence imperturbable, fixant son interlocuteur qui venait de se présenter ; l'homme était reconnaissable entre tous. Soigné, le dos droit, l'allure hautaine et assurée, l'Athémaïs au teint plutôt pâle, les cheveux courts et bouclés, presque à peine sorti de l'enfance, portait une longue chasuble noire bordée de blanc par-dessus une tunique unie, de la même couleur, descendant sous le genou, brocardée de reflets chamarrés. Il avait enfin les épaules ceintes d'une large étole, elle aussi noire liserée d'or, marquée du cercle blanc symbole du Concile. À son cou pendait, comme pour insister encore, le même cercle d'argent symbolisant l'Église redoutée dont il était prêtre.

À ses côtés deux Ordinatorii affichaient les mêmes tons, le noir liseré de blanc, dans des atours martiaux. Engoncés dans une sombre cuirasse de cuir renforcée de linotorci, ils portaient une chemise à manches bouffantes d'un rouge écarlate, retombant en longs pans sur leurs larges pantalons noirs. Enfin leur visage était dissimulé par un casque grec au panache en crin couleur de sang. Ils veillaient sur l'envoyé de l'Église, longues lances-impulseur en main, glaive au côté ; imperturbables dans leur dévotion absolue à leur service sacré, ils paraissaient deux statues menaçantes.

Jawaad ne risquait pas de se tromper sur le rang et la nature de l'homme en face de lui, flanqué de ses gardes du corps. Il se doutait bien qu'autour de la place en guettaient d'autres qui, en civil et dissimulés dans la foule et les ruelles entourant la place, attendaient un seul signe pour fondre comme une nuée défendre leur maître.

Le maître-marchand fronça un sourcil mécontent et dubitatif, jetant brièvement un regard sur Azur, qui, effrayée à raison par l'Ordinatori et ses gardes, restait cachée derrière son épaule, mais il ne chercha pas de confirmation, il était déjà parfaitement sûr de lui : ce n'était pas Franello. Les choses prenaient une tournure particulièrement inattendue...

***

– Le message est passé, Jawaad. J'ai bien cru que Narwin ferait une apoplexie avant qu'on en ait fini.

Damas s'appuyait au chambranle de la porte, regardant Jawaad s'affairer à son bureau au milieu de nombre de papiers. Les coursiers avaient livré quantité de missives et de lettres, dont une large partie finissait d'ailleurs froissée et jetée avec dédain par le maître-marchand ; on pouvait raisonnablement se demander s'il les avait même lues. Celui-ci leva la tête, délaissant son tri pour fixer son maître d'équipage.

– Et ?

– Le Campo Annuciante, à la fin du jour. Ce n'est pas vraiment le meilleur des lieux pour un rendez-vous public...

Jawaad acquiesça, en se redressant pour tourner la tête vers son balcon, fixant le ciel un instant, dans ses réflexions :

– Pas le pire non plus. Tu as pris des dispositions ?

– Six hommes qui savent être discrets, deux avec des pistolet-impulseurs, un troisième qui sait lancer le poignard ; mais il y aura foule à cette heure. Ça a tout du piège idéal, s'il veut en finir proprement et sans traces.

– Abba veillera sur mon dos et je prends Azur.

Damas hocha la tête à son tour, mais son regard sur le maître-marchand ne cachait pas ses doutes.

– Je ne suis pas Abba. Ces gens-là, je ne les crains pas, ni leurs dieux et leurs croyances, ce ne sont que des hommes, mais Abba a raison sur une chose : c'est vraiment un jeu dangereux, même à Armanth. Si jamais cela se passe mal, si l'on touche à un Ordinatori je ne donne pas très cher de nos peaux après cela...

Les Chants de Loss, Livre 1 : ArmanthOù les histoires vivent. Découvrez maintenant