– Tu as dit QUOI ?
Le cri outré de Priscius résonna dans toute la villa et figea toutes les esclaves présentes jusqu'au pavillon des bains. À dire vrai, même ses hommes de main à portée d'oreille du hurlement eurent un temps d'arrêt inquiet à entendre leur patron.
Jawaad, sirotant le thé offert par l'esclavagiste, n'avait pas cillé ; lui s'y attendait. Il avait d'ailleurs posé sa main libre sur la tête de Lisa à ses pieds, la retenant fermement, les doigts glissant sur son front jusqu'à ses yeux, en prévision du coup de gueule de son vis-à-vis ; et il avait bien fait. Quand Priscius éclata, elle manqua elle aussi crier de peur, se réfugiant brutalement dans les jambes de Jawaad, par un instinct ancré viscéralement dont elle n'aurait même pas pu elle-même saisir la portée. Mais c'était bien contre lui qu'elle venait de se cacher, tremblant comme une feuille, le visage à demi enfoui dans son long kilt.
Jawaad constata avec intérêt que Sonia n'avait rien omis. La petite barbare rousse n'en avait pas conscience, mais elle était déjà imprégnée de sa présence. Le maître-marchand répéta calmement.
– Je te la prends pour rien ; je t'en débarrasse.
Priscius explosa une seconde fois, son visage barbu prenant une teinte écarlate.
– Non, mais tu as perdu la tête ? Tu me prends pour qui, par les dieux anciens ? Tu as idée du prix qu'elle m'a coûté jusqu'ici ? Par Odin, je ne sais pas ce qui me retient de te faire sortir de chez moi à coup de pied au cul !
Jawaad leva un regard, le sourcil dubitatif, sur le marchand d'esclaves et sa menace, sans paraître véritablement s'en offusquer. Il glissa sa main sur le côté du visage de Lisa pour venir appuyer sa tête contre sa jambe. Elle était à genoux et tremblait toujours, se laissant faire sans chercher à résister un seul instant. Le maître-marchand toisa Priscius, toujours aussi impassible, mais il laissait à l'esclavagiste le soin de constater de lui-même l'emprise qu'il avait déjà sur la jeune esclave.
– Elle est invendable, et tu le sais ; de plus, tu m'es redevable. Je t'ai ramené ton éducatrice quand la loi me donnait tout droit de la garder, puisqu'elle s'est introduite chez moi.
Priscius dut retenir une violente envie de cogner immédiatement le maître-marchand mais Abba, qui se tenait derrière Jawaad, le foudroya d'un regard mauvais au même instant, l'encourageant prestement à se contenir. Appuyé contre le mur de son bureau, bras croisés, le colosse armé de son énorme cimeterre veillait sur son patron sans cacher son dédain pour le nordique avec qui Jawaad faisait affaire. On prétendait de cet esclavagiste noir qu'il pouvait briser le crâne d'un cheval à coups de poing ; ses énormes biceps rendaient cette rumeur tout à fait crédible et Priscius n'avait pas envie de la vérifier. Mais il aboya encore, le ton hargneux :
– Ne me parle pas de cette chienne ingrate ! Elle n'est pas près de sortir de la cage où je l'ai jetée !
– Pourtant, ton commerce tient en très grande partie aux talents d'éducatrice que tu exploites chez elle et son escapade m'a été utile, comme je te l'ai dit. C'est pour son utilité et sa valeur que j'ai pris la décision de te la ramener. Mais... je peux tout aussi bien la reprendre, tu sais ? Il y a assez de témoins qui m'ont vu la tenir en laisse toute la matinée pour que je fasse valoir mon droit.
Priscius foudroya Jawaad du regard, ne déclenchant en réponse que son indifférence coutumière. Il plongea rageusement sa main dans le bol de pistaches posé sur son bureau, plus pour trouver quelque chose à serrer et broyer que par fringale. Il s'arracha les mots, le ton grondant.
– Je suis bien forcé de remercier ta générosité, maître-marchand ; mais elle n'échappera pas à la punition que je réserve aux esclaves fuyardes, crois-moi !
VOUS LISEZ
Les Chants de Loss, Livre 1 : Armanth
FantasyJawaad le maitre-marchand est connu comme le loup blanc, pour son caractère solitaire et misanthrope, pour ses secrets, sa vie aventureuse et ses amis étranges. Et pour sa richesse, dont il semble dédaigner les avantages. Ce qui est sûrement sa plus...