Chapitre 12 : Franello

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La discussion n'eut pas lieu de suite : Abba, très en colère, très trempé aussi, revint à la villa de Jawaad en traînant Raevo par les cheveux. L'espion blessé, que chaque cahot sur le sol secouait en ravivant la douleur de sa plaie, trouva le trajet bien assez difficile à endurer pour être convaincu de collaborer rapidement. Damas suivait l'esclavagiste et calma les foules quand les deux hommes se retrouvèrent mêlés à tous ceux qui s'étaient lancés à la poursuite du rôdeur. Tous étaient nerveux, trempés et, pour beaucoup, agacés, ne sachant pas trop après quoi on les avait envoyés courir. Il fallut l'appui et toute la persuasion d'Abba – ce qui impliqua de parler très fort, de rouler des muscles et de rappeler qu'il pouvait casser en deux la plupart de ses interlocuteurs sans forcer – pour que Raevo échappe aux envies soudaines de lapidation des vigiles et des habitants du quartier, très mécontents d'avoir dû prendre la tempête à cause d'un intrus. Quand l'esclavagiste eut enfin rejoints la villa de Jawaad avec son fardeau qui, épuisé, n'en menait pas large, il était pour le moins de méchante humeur.

***

La tempête redoublait, le tonnerre se déchaînant avec assez de force pour que parfois on en ressente la vibration de l'air et, qu'aux fenêtres, les carreaux tintent ; un temps à rendre craintivement superstitieux. Abba, qui l'était largement, triturait son collier de perles d'os orné de nombre de médailles et fétiches où, en bonne place, trônait l'effigie du Concile, un simple anneau d'argent. Damas, même s'il l'était nettement moins, frottait malgré tout du pouce l'écaille de baleine qui ne quittait jamais sa ceinture. Autant mettre la chance de son côté, aurait-il pu songer, même pour une simple tempête, que les érudits prétendaient n'être qu'un phénomène naturel et en rien une expression de la colère divine. Mais qu'en savaient véritablement les savants, après tout ? Jawaad quant à lui, affichait comme toujours une quasi-indifférence à l'orage qui, zébrant le ciel, éclairait régulièrement le cellier d'un éclat bleu qui semblait éteindre les chandelles chargées de l'illuminer un peu. Face à lui, Raevo, appuyé sur de vieux sacs de jute, avait autre chose à penser qu'à l'orage. La foudre et la peur des dieux ne le concernaient guère lui non plus ; il était blessé et il jouait sa vie.

– Bon, je vous ai tout dit. Écoutez, Jawaad, je n'ai aucune raison de mentir. Mon boulot est compromis, votre... heu... enfin l'autre, là, – il désignait Damas du menton – m'a épinglé comme un papillon. Je pisse le sang, je n'irais pas loin sans soins et mon seul salut, c'est de tout vous dire en comptant que vous n'avez finalement pas intérêt à me tuer... non ?

Le maître-marchand posa son regard sombre sur l'espion mal en point. Jusqu'ici, il n'avait pas fait un signe pour le faire soigner mais Azur était à ses côtés, portant déjà de quoi s'occuper sommairement du blessé. Elle attendait l'ordre de son maître.

– Je pourrais et faire disparaître ta dépouille, personne n'irait venir me poser des questions sur ton sort.

– Mais je vous ai tout dit ! L'homme qui m'a embauché, c'est Narwin Callimus ! Mon boulot était de suivre vos déplacements, d'apprendre vos habitudes, de savoir à quel moment on peut vous trouver et où ! Je n'y suis pour rien, ni pour les spadassins de la taverne, ni pour l'accident sur le chantier naval. Moi, mon boulot, c'est d'espionner les gens, pas de les tuer !

– Narwin Callimus, que sais-tu sur lui ?

– C'est un administrateur des taxes portuaires ; un vieux gratte-papier dont on ne se méfie pas, juste un comptable. Je n'ai jamais entendu quoi que ce soit à son sujet qui pourrait expliquer pourquoi il vous en veut ! Tout ce que je sais, c'est qu'il est employé par la Maison Marchande de Naa'shetim pour le compte de l'Élegio, qu'il y est vu comme un médiocre bonhomme sans fard, mais qui fait bien son travail. La seule chose digne d'intérêt... enfin, je veux dire, à part qu'il m'a engagé pour vous surveiller depuis plus d'un mois, c'est qu'il cache bien sa parenté avec Franello.

Les Chants de Loss, Livre 1 : ArmanthOù les histoires vivent. Découvrez maintenant