Chapitre 8 : Le Linci

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– Cela progresse-t-il ?

Sonia se tenait à genoux devant Priscius, comme toujours fière et arrogante, mais le regard baissé avec respect. Quant à lui, vêtu d'un simple pagne lâchement noué aux hanches, il était affalé avec satisfaction dans un large fauteuil. À sa droite, lovée contre ses jambes, l'air béate et un peu secouée, une des esclaves les plus éduquées de la maison, dont il venait de profiter un long moment pour se remettre de la perte récente de Magenta. Malgré sa colère et sa frustration qui deux jours durant avaient tonné régulièrement dans le domaine, l'esclavagiste prenait l'incident pragmatiquement.

Il avait perdu un bien. Un bien précieux et auquel il tenait, mais un bien qui ne différait pas de ses chiens, de ses chevaux ou de ses vases précieux et qu'il faudrait remplacer. Dans toute cette logique il n'y avait pas une once de pensée qui se soit apparentée à un deuil, même si dans les faits ses deux jours de colère noire s'en approchaient. Quant au corps de Magenta, il avait été jeté aux ordures près d'un trou à toshs qui n'en laisseraient rien. Il n'était pas du genre à organiser des funérailles pour une esclave, même si cela se faisait parfois.

Sonia eut un frémissement de désir et un pincement au cœur, à l'odeur à peine discernable de luxure qui flottait encore dans l'air doux du bureau.

– Oui, maître, elles commencent à comprendre leur place. La plus âgée des trois s'avère faire preuve de beaucoup de sagesse. Elle a cessé de se révolter en vain, elle apprend très vite et son corps a été fait pour danser.

– Elle commence à savoir parler ?

– Quelques mots, mais elle comprend l'essentiel de mes ordres. Les deux autres l'y aident.

Priscius se pencha sur l'esclave à ses pieds, la gratifiant d'une caresse sur la tête :

– Va me chercher à boire.

Puis il tourna son attention sur Sonia qui à dessein laissait deviner sans mots ni supplique, juste dans un regard langoureux et brûlant, le désir que la scène avait éveillé en elle :

– Sage, dis-tu ? Sage, danseuse et belle. Si elle commence à apprendre, il est temps de lui donner un nom. Athéna lui irait bien, je trouve.

Sonia pencha un bref instant la tête de côté, surprise de ce choix, sans commenter, bien entendu. On pouvait nommer une esclave de n'importe quelle manière, que cela fût ridicule ou prestigieux ; la seule limite était un usage respecté par politesse de ne jamais lui donner un nom ressemblant à celui d'une personne libre dans son entourage. Ne pas respecter cette coutume avait conduit à quelques drames et parfois à la mort de l'esclave, qui n'avait rien demandé, elle. Mais Athéna était un nom de déesse ancienne. Si son culte était publiquement réprouvé, il était courant qu'elle soit encore invoquée et priée et, qu'en cherchant bien dans les cités-états du côté de Terancha, on trouve des autels et sans doute quelques temples qui lui soient dédiés, à elle comme aux autres dieux de ce panthéon répandu avant le Long-Hiver.

Sonia conclut rapidement que le choix de son maître avait pour but d'accoler le prestige de ce nom à la fille dont il espérait tirer non seulement grand prix, mais surtout renommée. Elle fut sortie de ses réflexions par la voix tonitruante de Priscius :

– C'est décidé, ce sera Athéna. Demain soir, elle recevra son linci ; je les veux toutes les trois préparées, Sonia. Je ferai cela dans les formes.

L'éducatrice acquiesça d'un signe de tête déférent, tandis que revenait vers l'esclavagiste la fille à son service, portant un plateau de boissons et d'en-cas. Elle arborait avec grâce toute la sensualité d'une démarche et d'un port qu'elle avait appris de force. Il n'était pas certain qu'elle ait conscience que, bientôt, elle serait revendue sur les estrades de luxe du Marché aux Cages. C'était une information qu'elle n'avait pas besoin de connaître ; le plus souvent, l'angoisse saisissait les esclaves qui l'apprenaient.

Les Chants de Loss, Livre 1 : ArmanthOù les histoires vivent. Découvrez maintenant