Le Cri de la Ruelle

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Tallek Fjall ne semblait lui prêter aucune attention particulière. Sa poigne toujours refermée sur ses chairs, il était tendu sur toute la hauteur de ses membres, à l'affût. Ainsi il semblait tout voir, tout entendre, tout ressentir. Solveig avait parfois l'impression qu'il goûtait l'air autour de lui, et qu'il était capable d'en détecter chaque flagrance.

Il était impressionnant. Imposant. Et il était sûrement le seul homme capable d'avoir un ascendant sur Solveig, qui détestait cela. Pour elle, il était imbu de sa personne, étroit d'esprit, et rustre. Elle ne supportait pas sa présence, et il le lui rendait bien.

Solveig retira d'un coup sec son poignet de la prise de Tallek. Elle lui jeta un regard furibond, auquel il ne réagit même pas, trop concentré à scruter la scène devant lui. Il semblait absorber par l'instant, c'en était presque mystique.

Ses yeux bleu d'acier ne cillaient pas, ondoyant de concentration. Son large buste au tee-shirt seyant, semblait tendre vers l'avant, comme si tout son corps désirait rejoindre cette mère éplorée mais qu'il se retenait. Le vent jouait dans son épaisse chevelure auburn, faisant parvenir l'odeur de son après-shampoing au savon de Marseille mélangée à celle plus musquée de sa peau, rappelant le cuir laminé et le lys embaumant.

Solveig serra les dents, se retenant de humer son parfum. Cela n'échappa pas à Tallek qui esquissa un sourire en coin moqueur. Le jeune homme reporta alors son attention sur elle, son regard balayant Ensio dans un même temps.

- Vous n'avez rien à faire ici.

La voix rauque claqua dans le silence qu'avait instaurée sa présence. Solveig se tendit immédiatement, une folle rage s'emparant d'elle. Ensio se glissa alors dans son dos, et plaça ses mains sur son ventre, la retenant ; geste qui n'échappa pas à Tallek lequel fronça les sourcils.

- On travaille. C'est plutôt toi qui n'a pas ta place sur une scène de crime, tu n'es qu'un bûcheron après tout.

Les yeux de Tallek se firent plus sombre, et une aura dangereuse sembla flotter autour de lui.

- Pour un décampeur je trouve que tu as la langue bien pendue. Je te rappelle que vous êtes sur mon territoire, alors ne me cherche pas.

- Sinon quoi ?

Solveig le toisait du regard, énervée. Si elle n'avait pas compris l'allusion à Ensio, elle n'en laissait rien paraître, prête à tenir la tête à cet homme qui réveillait ses pulsions les plus noires.
C'était toujours ainsi avec Tallek. À leur rappeler que leur place n'était pas à Rive, comme si cela mettait en évidence une différence primordiale entre eux. Toujours à regarder son monde de haut, comme s'il le dominait.

Solveig serra les poings. Bien malgré elle, elle s'était vite rendu compte qu'en effet, Tallek dominait Rive. Sans qu'elle ne se l'explique, les forces de l'ordre semblant même lui rendre des comptes. Un véritable mystère.

Les ombres se firent plus dense, et l'atmosphère plus tendue. Solveig observa autour d'elle, remarquant de nouveaux arrivants peu amènes, perdus dans la foule, d'autres campant même sur les toitures. Les amis d'Ensio. Ou plutôt ses hommes, comme Solveig aimait à les appeler, tant ils semblaient boire les paroles de Tallek.

Ce dernier fixait Solveig avec attention, son regard fouillant le sien, comme s'il voulait le posséder, le faire céder. Comme à chaque fois, Solveig sentit une migraine poindre son nez, sa concentration semblant lui échapper. Cela lui fit crisser des dents, mais pas lâcher prise. L'océan ondoyant dans les orbes de Tallek se fit plus profond. Sans la lâcher du regard, il répondit.

- Sinon vous le regretterez. D'ailleurs vous allez devoir partir, cette histoire ne vous regarde pas.

Il fixait Ensio dorénavant, lequel ne flancha pas face à lui. Une main sur la bouche de Solveig prête à riposter, il répondit :

- Ne me menace pas, n'oublie pas que tu préfères ne pas m'énerver. Ensuite nous partirons seulement après avoir fait notre rapport. Nous sommes en charge de tout acte criminel commis, qu'il soit sur une rive ou l'autre. Cette histoire nous regarde tous après tout.

Tallek releva la tête, prenant une grande inspiration. Sans leur accorder plus d'attention, il s'éloigna d'eux en direction de la femme qui baignait dans le sang de sa fille.

- Meriem. Il faut que tu la laisses maintenant, lui chuchota-t-il en lui caressant les cheveux.

La concernée secoua la tête, mutique, incapable de bouger.

- Non. Je ne la laisserais pas.

- Il le faut, pour qu'on puisse faire payer à l'ordre qui a fait ça.

- Non !

- Stevy...

Le jeune homme, debout pas très loin d'eux hocha la tête. Sans un mot, il souleva Meriem dans ses bras, laquelle se mit à hurler et à frapper le vide. Sans broncher il s'éloigna de la scène de crime, les traits tirés.

- On se voit bientôt. Mama vous a laissé de la liqueur sur le haut des escaliers, elle ne sera plus là quand vous partirez.

Solveig se haussa sur la pointe des pieds, pour le gratifier d'un baiser sonore, tandis qu'Ensio se contenta de le saluer de loin. Puis Stevy disparut, les cris de Meriem continuant de résonner jusqu'à eux.

Solveig frissonna, il était temps qu'elle rentre en action. Son visage se vida de toute expression, de toute émotion. L'acier de ses yeux se fit liquide, épais et brûlant. Soudain elle ne pensait plus, ne coûtait plus, entièrement concentrée. Ensio la laissa faire, conscient que son soutient n'était pas requis.

Des détails, des indices. Des traces de griffes sur le mur, d'impact dans la neige. Le corps avait été balancé, malmené. Des traces de crocs, comme si un animal avait dévoré l'enfant. Pourtant tout semblait laisser à penser que c'était un homme, de stature imposante qui avait agit. Solveig ferma les yeux. Elle ne comprenait pas. Quelque chose lui échappait. Une bonne heure plus tard, elle tapota l'épaule d'Ensio.

- On peut y aller.

La ruelle avait été vidée par les hommes de Tallek, il ne restait plus qu'eux dorénavant, les forces armées de Rive s'étant jointes à leur groupe. Debout près du corps, Tallek ne les lâchait pas du regard, impatient qu'ils partent.

- J'espère ne pas vous revoir de si tôt.

- N'y compte pas trop. On risque d'être appelés sur cette affaire, avertit Solveig.

- Ce ne sera pas le cas. Cela ne vous regarde aucunement gens de Merath.

- Rive et Merath se complètent, ne n'oublie pas Tallek.

Solveig veilla une dernière fois son regard dans celui de l'homme aux yeux d'acier. Puis elle se détourna, Ensio à ses côtés.

- On ne vous dis pas adieu.

Un grognement retentit dans son dos, mais elle préféra l'ignorer, habituée désormais. Sans plus un regard elle reprit le chemin de chez Mama. Une liqueur les attendait, une voiture, et de la route. Derrière eux le temps semblait s'être arrêté dans cette ruelle où l'horreur avait frappé, dans cette ruelle maudite que personne n'oublierait.

Solveig Ylgr : Empreintes d'Hiver Où les histoires vivent. Découvrez maintenant