La nuit recouvrait tout. Epais manteau faite de suie, elle semblait avaler jusqu'à la plus subtile ligne architecturale, imbibant chaque once de paysage. Le ciel semblant s'être confondu avec la terre.
Les sons semblaient étouffés, pourtant ils n'avaient jamais été aussi retentissants. Chacun d'entre eux paraissant pulser en Solveig avec force.
Le toit était humide. Le froid s'y était accroché, y laissant son empreinte. Des frissons parcouraient la peau de Solveig, qui enfonça la main dans ses poches. Ses doigts butèrent alors contre sa récente réquisition, qui lui donna un semblant de sourire. Elle eut notamment une pensée pour Methias, pour son insubordination qui à cet instant précis lui était salutaire.
Solveig attrapa le joint avec soulagement. Pressée d'en aspirer la chaleur, d'en ressentir la morsure. De laisser ses pensées s'étioler au souffle de ses exhalations. Elle ne partirait pas tant que Soren ne serait pas rentré. Là, perchée sur les hauteurs de sa demeure, elle avait conscience de tout. Du calme de la futaie, de l'agitation des voisins, de la faim dévorante des pourceaux, de l'affliction de Soren. Si la tranquillité se déchirait elle le saurait.
Et sûrement n'était-ce pas une bonne idée d'inhiber son esprit à ce moment même. Mais Solveig était loin d'être inconsciente, elle connaissait ses limites. Ses capacités ne seraient pas altérées, une bouffée d'adrénaline et ses réflexes feraient leurs preuves. Surtout, Ensio était là.
Un chuintement dans son dos lui apprit qu'elle n'était plus toute seule. Bientôt, une main vint se perdre dans ses cheveux, qui glissèrent entre les doigts d'Ensio, comme un courant d'eau insaisissable. Sans un mot, il s'assit aux côtés de son amie, et se contenta d'être là. Parce que c'était tout ce dont elle avait besoin. D'une présence silencieuse. Jusqu'à ce qu'elle en décide autrement.
La présence d'Ensio relaxa Solveig et la frustra tout autant. Elle avait besoin de lui, comme ça avait toujours été le cas depuis leur rencontre, mais aussi elle lui en voulait. Parce que pour la première fois Ensio lui mentait, du moins, il ne lui disait pas tout. Elle le savait, le ressentait au plus profond d'elle-même c'était une certitude.
- Qu'est-ce que tu ne me dis pas Ensio ?
L'homme soupira sans répondre. Il s'attendait à ce qu'un jour cette discussion se présente, il s'y était préparé, n'avait toujours pas de réponse à lui offrir. Cela ne lui appartenait pas.
L'air pensif, il attrapa la main libre de Solveig, s'amusa à jouer avec ses phalanges, sans qu'elle ne réagisse, patiente.
Quand il releva la tête, ses prunelles semblèrent luirent dans la nuit, empruntes de mystère et de pardon.- Rien que tu ne saches déjà.
Solveig secoua la tête, retira sa main.
- Ne me mens pas. Ces meurtres ne ressemblent à rien. Ils sont inhumains, horribles. Tout porte à croire qu'un animal en est l'auteur, un loup plutôt. Pourtant l'empreinte de l'homme ne pourrait être ignorée. C'est à n'y rien comprendre.
Elle aspira une nouvelle bouffée de drogue, afin de calmer l'énervement qu'elle sentait poindre.
- Et il y a ces regards entre vous. Ton regard surtout, qui semble voir quelque chose qui m'échappe. Comprendre une évidence qui ne m'apparaît pas. Cette enquête nous sommes censés la mener ensemble. Quand avons-nous cessé d'être une équipe ?
- Nous sommes toujours une équipe Sol.
- Ce n'est pas mon impression. Toi et Tellak paraissaient bien mieux vous comprendre. Tous les deux, vous me cachez quelque chose.
- Sol...
- Non, Ensio. Que Tellak garde ses informations pour lui, je peux comprendre. Mais toi, non. Je ne l'accepte pas.
Ensio redressa la tête, une lueur de colère dans le regard. Il lui attrapa le menton, l'obligea à lui faire face.
- Ce n'est pas à moi de te dire ce que tu refuses de te rappeler, Sol. La clef tu la détiens, le reste ne dépend que de toi.
Ensio baisa son front avec légèreté et puissance. Une douleur tue semblait être écrasée par la chaleur de ses lèvres, et Solveig en ressenti toute l'ardeur.
Elle ferma les yeux, et les rouvrits sur le vide. Ensio s'en était allé.La jeune femme laissa son index parcourir sa cicatrice lui barrant l'abdomen, vestige de cette nuit teintée de mort. Ses souvenirs restaient flous, se résumant à des débris de phares éblouissants, de cris perçants, de tôles éclatants. Puis plus rien. Juste un noir étouffant dans lequel elle devait apparemment puiser.
Solveig se redressa d'un bond, l'esprit un peu brumeux mais d'une détermination incisive. Elle se laissa glisser contre la gouttière, sauta sur la scelle de sa moto et démarra.
"Prends soin des gosses."
Elle n'avait pas besoin de vérifier son téléphone pour connaître la réponse d'Ensio et elle fila au commissariat.
Des dossiers jonchaient le sol, et recouvraient partiellement le corps en tailleur de Solveig. Elle avait retourné les archives, redécouvert de nombreuses enquêtes sans trouver contentement.
Exaspérée, elle balança par terre le feuillet qu'elle tenait en main.
- Putain ! Rien de rien ! Je ne trouve rien sur cet accident débile ! C'est quoi ce délire ?
Ce n'était pas possible qu'aucune enquête n'ait été ouverte sur l'accident ayant été fatal à ses parents. Pourtant, elle ne trouvait rien.
Son regard se posa alors sur l'étagère du fond, qu'elle n'avait même pas pensé inspecter. D'un bas douteux, elle se rapprocha des enquêtes non résolues, crocheta la date recherchée, et parcourut le dossier.
Des traits épais de noir barrant des lignes et des lignes de mots. Des photos de la voiture, mais pas des corps. Solveig fronça les sourcils en constatant l'état de l'airbag complètement déchiré et dégonflé. Ses yeux s'arrêtèrent sur la signature du chargé d'enquête et elle ravala un hoquet de stupeur. Enfonçant la photo dans une de ses poches, elle enfourcha à nouveau sa bécane, laissant un capharnaüm sur son passage.
Solveig ne prit pas la peine d'annoncer sa venue, ne de demander l'autorisation d'entrée. Elle débarqua dans le salon des Heimr sans préambule, étalant la photo de l'accident sur le joint en préparation de Kalej, et le dossier tout de noir vêtu à la signature inopportune par la même.
- Tu m'expliques ?
Kalej laissa son regard dériver sur la paperasse étalée sous ses yeux, une lueur de compréhension et de douleur traversa ses orbes, et il poussa un profond soupir.
- On te devait un chilli, non?
Solveig se laissa lourdement choir sur leur banc, tandis qu' Aglaë lui servait une écuelle débordante. L'odeur épicée et appétissante eût raison de sa colère, et elle se délecta des saveurs, en profitant pour relâcher un peu la pression.
- Où as-tu trouvé ça ?
- Dans les archives du commissariat.
Kalej secoua la tête, et poussa un profond soupir.
- À une époque, c'était mon père le shérif. C'est lui qui s'est occupé de l'accident de tes parents.
- Pourquoi je n'en ai jamais rien su ?
- Parce que quand tu as décidé de tout oublier, on a tous acceptés de jouer le jeu. On a tous fait semblant d'oublier. Pour toi. Pour ta sœur.
- Je ne comprends pas.
- Tu n'es pas de Merath Solveig. Tu es une inversée, tu viens de Rive.
- Je ne comprends toujours pas.
Kalej se leva, et posa une poigne solide sur l'épaule de son amie.
- Tes réponses, tu les trouveras là-bas. Si je peux te donner un conseil, emmène Elke avec toi. Elle aussi doit se souvenir. Tu ne pourras sauver personne si tu refuses d'accepter la réalité.
Et comme Ensio l'avait fait avant lui, Kalej embrassa son front et la laissa seule, avec la marmitte de chili et un joint fraîchement roulé.
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Solveig Ylgr : Empreintes d'Hiver
WerewolfSolveig Ylgr vit dans le village de Merath depuis toujours. Tutrice de sa cadette Elke elle doit faire face à de nombreuses responsabilités, son travail dans la police scientifique empiétant sur son temps. Avec Ensio son partenaire et ami infaillibl...