Blanc sur Rouge

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Solveig referma la portière du fourgon qu'ils leur avaient fourni. Satisfaite, elle repensa au Tanto, son nouveau couteau japonais courbe, qu'elle avait choisi pour son plaisir personnel. Une lame légère et suffisamment petite pour tenir dans sa paume de main, dont elle pouvait user avec dextérité.

- Au top Stevy. Tu remercieras Larcel pour nous s'il te plaît.

- Ouais. Il est parti en vadrouille avec quelques hommes. Il y a des rôdeurs dans les coins en ce moment, ils sont allés sur leur piste.

Ensio et lui échangèrent un regard lourd de sous-entendus qui n'échappa pas à Solveig. La jeune femme ne fit aucun commentaire, elle savait que ses questions resteraient sans réponse.

- Et la petite May, elle va mieux ?

Solveig releva la tête. Les nouvelles allaient bon train d'une ville à l'autre, pourtant elle ne pensait pas que l'incident de May serait arrivé jusqu'à Rive. Ce fut Ensio qui répondit, d'une voix grave et sourde.

- Elle est traumatisée. Ça n'ira pas mieux de suite, si seulement un jour elle s'en remet.

Des nuages dans ses prunelles. Stevy détourna la tête, le regard perdu au loin.

- À défaut de s'en remettre, elle finira par s'y habituer. Peut-être même par oublier.

- On n'oublie jamais rien, l'inconscient se rappelle toujours.

Stevy acquiesça avec gravité.

- Alors espérons qu'elle en sorte plus forte.

- Elle tient de ses parents, elle se relèvera.

La voix de Solveig était gonflée de certitudes, et aucun des deux hommes ne voulut la contredire, partageant les mêmes espoirs. Un court silence s'installa entre eux, que Stevy décida de briser rapidement.

- Sinon avant de partir, ça vous dit de vous joindre à nous pour manger ?

Solveig jeta un coup d'œil à sa montre. Il était quatorze heures et quart, elle n'avait pas vu le temps passer. Son ventre se rappela à elle, et elle se fit rêveuse.

- Une bonne entrecôte frite, fera l'affaire.

- Mama a fait une de ses spécialités, je te la recommande.

- Un petit plat maison de Mama ! Ça fait trop longtemps.

Ensio avait des étoiles plein les yeux, ce qui n'échappa pas au riverain.

- C'est une affaire qui roule alors !

Solveig grimpa dans le pick-up de Stevy, heureuse. S'inviter entre voisins des deux rives opposées ne se faisait pas, mais ils profitaient de chaque occasion que leur offrait le travail pour se retrouver tous les trois. Mama, la propriétaire de Stevy, était une vieille femme d'une soixantaine d'années qui ne prêtait garde aux convenances, et eux à cette exception près, ignoraient les jugements et les regards de travers, le temps d'un repas.

Le logement de Stevy était perdu dans les méandres de ruelles zigzagantes. Locataire dans la maison de Mama, il y louait une chambre alors qu'ils se partageaient le reste de la cambuse. Mama était une femme faite d'amour et de douceur, dont les cheveux entièrement gris étaient toujours tirés en un chignon soigné. Le temps avait fait poids sur son corps voûté et fourbu, mais l'on pouvait toujours deviner la beauté qui l'avait un jour habitée, derrière ses épaisses lunettes toujours recouvertes de buée. Quand elle leur ouvrit la porte, Solveig se précipita dans ses bras, derrière elle les hommes discutaient de voiture, débattant sur les modifications de Kalej.

Solveig ferma les yeux. Mama était moelleuse et il se dégageait d'elle une chaleur réconfortante qui semblait faire se dissiper le froid des mauvais jours. Elle sentait l'encens et la muscade, une odeur relaxante dont Solveig ne se lassait pas.

Solveig Ylgr : Empreintes d'Hiver Où les histoires vivent. Découvrez maintenant