L'autre Rive

11 1 0
                                    

- Ah et je devais un plein à Stevy, vous lui direz que je m'en suis occupé.

- Parfait ! Comme ça on n'a pas à le faire. On fera passer le message, affirma Solveig sur le siège passager.

Ensio fit tourner la clef de la voiture, qui ronronna avec harmonie. Il esquissa un sourire espiègle, auquel Kalej répondit par une moue malicieuse.

- Tu lui as fait des petits arrangements sympathiques, dis-moi...

- Et tu n'es encore qu'à l'arrêt, attends de rouler avec, tu m'en diras des nouvelles !

Un bras autour de la taille d'Aglaë, l'autre portant une May à moitié endormie, Kalej rayonnait de bonheurs, leurs trois chiens finalisant ce tableau de leur famille épanouie. Touchée par leur bonheur, Solveig sentit son cœur se gonfler de gratitude, elle leur fit un signe de la main, la joie éclairant l'ovale de son visage.

- À ce soir !

Les Heimr lui rendirent son geste, ils attendirent que la voiture ait disparue de leur vue, sur un dernier coup de klaxon, pour vaguer à leurs occupations.

Le pick-up ne se redirigea pas vers Merath et continua de s'enfoncer dans les profondeurs de la forêt, engagé sur un étroit sentier boueux. En fond musical, un air d'harmonica berçait leur traversée, rythmant leur tranquille conversation. Ils longèrent la rivière tout du long, jusqu'à parvenir à l'endroit où les berges rivales avaient été reliées par un petit pont de pierres, d'une taille suffisante pour que tous moyens de transports puissent traverser. Cependant, il n'était possible de ne passer qu'en individuel à la fois, et heureusement qu'il était rare que les habitants de Rive ou de Merath aillent rendent visites à leurs voisins, auquel cas la circulation aurait pu être des plus encombrées.

Lentement le pick-up s'avança sur le pont en pierres, un discret crissement de gravillons écrasés leur parvenant de l'habitacle. Solveig se perdit dans la contemplation du paysage paisiblement. Son regard erra au-delà des arbres, que le vent balançait avec précaution. Du rouge, du jaune, du brun automnales, se mêlaient au vert de l'été. Le reflet de cette explosion de couleur se floutait à la surface du cours d'eau, dont la clarté en révélait les profondeurs. Des effluves de mousse et de terre parvenaient à leurs narines, une senteur d'une fraîche humidité s'y accrochant discrètement.

Se calant plus confortablement dans son siège, Solveig poussa un profond soupir de bonheur qui fit sourire Ensio. Il n'avait pas besoin de la regarder pour savoir qu'en cet instant chaque trait de son visage était détendu, que ses yeux mi-clos aux longs cils recourbés vibraient doucement, que ses lèvres pulpeuses arboraient le sourire d'une demi-lune. Il pouvait deviner le soleil se reflétant sur sa chevelure d'encre, le rosé discret venu colorer ses joues, l'abandon total auquel elle s'offrait. Et il était persuadé qu'une fois encore, sa beauté avait été transcendée, la méfiance et la dureté la marquant habituellement n'étant alors qu'un vieux souvenir.

Ils avaient éteint la musique et aux crissements des pneus se mêlaient le murmure du vent et le clapotis de l'eau, que seuls leurs respirations venaient troubler. Petit à petit le batillage de la rivière s'estompa et le brouhaha de la ville leur parvint. Solveig souleva doucement les paupières, apercevant la route menant à Rive. Ils avaient déjà traversé la forêt et ils étaient presque arrivés.

Soudain sourire aux lèvres Ensio fit gronder le moteur, sous les yeux écarquillés de Solveig il piqua une accélération à laquelle elle ne s'attendait pas, profitant de la route déserte et en ligne droite qui s'offrait à eux.

- Mais à quoi tu joues ? Hurla Solveig tentant de couvrir de sa voix, le rugissement du moteur et du vent.

- Je voulais voir ce que les petites modifications de Kalej donnaient ! Tu sens cette puissance ?

Solveig Ylgr : Empreintes d'Hiver Où les histoires vivent. Découvrez maintenant