Se rappeler

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Le village est en pleine ébullition, littéralement, et le soleil de plomb y est pour beaucoup. Tout le monde s'active, suant, criant, rigolant, chacun à la tâche qui lui incombe. Le conflit qui fait rage dans cette partie du monde touche peut-être à sa fin et je pense que nous auront le rôle principal dans cette guerre surréaliste. Cela fait déjà deux mois que nous sommes revenus de Solem, deux des plus actifs : fabrication d'armes, de bannières et rassemblement de troupes. Tout se prépare dans l'ombre de la forêt. Je ne sais pas trop pourquoi je prends part à cette bataille qui ne me concerne que très peu et pourtant je sais que mon rôle est des plus importants.

L'armée à dépassé les limites de l'acceptable, les soldats brûlent et pillent les villes à ma recherche, ils tuent pour me retrouver. Je ne resterai pas les bras croisés à regarder des gens innocents périr pour moi.

Les nombreuses missions de reconnaissance ont confirmé les dires. Learis n'était que les prémices d'une longue série. Il n'est pas rare, lorsque je lève les yeux, que l'azur soit noirci par la colonne de fumée noirâtre d'une quelconque ville incendiée. Ces feux ne font qu'attiser ma volonté de prendre part aux assauts.

C'est d'ailleurs ce soir que je participe à ma première expédition de recherche, tout est mis en œuvre pour assurer mon anonymat et ma sécurité. J'ai reçu la formelle interdiction d'utiliser expressément mon Ombre. Pour palier à cela j'ai finis par choisir un magnifique katana, poignée ( la tsuka avait précisé Jao) en ivoire, couverte d'un tressage de corde fait à la main et de deux dragons d'or. La « tsuba », petit rond de métal entre la tsuka et la lame est composée de trois éventails noirs, une véritable prouesse artisane selon Nélora. La lame, fine et élégante répond parfaitement à chacune de mes coupes, « un forgeron d'exception » avait commenté Viktor qui s'est avéré être le forgeron du village. La tradition veut que l'on nome la lame que l'on porte à la ceinture, Shizukana Yume sera la mienne.

Le soir tombe mais la température ne souhaite pas en faire autant, Foutu été, me dis-je. Chacun revêt son équipement, plus rudimentaire que celui des Rebelles de Zaflo mais aussi plus léger, plus mobile.

Une veste étanche, un sac à dos rempli de quelques provisions et de matériel de premier soin, de bonnes chaussures, une arme chacun et c'est tout. Le strict nécessaire pour ce type de mission. Le but étant d'agir discrètement, et rapidement.

Nous ne sommes que quatre humains au total, Niv nous accompagne, il a besoin de se défouler je crois. C'est donc accompagnée de Thim, de Pharia et de sa sœur que nous partons en direction du Sanctuaire de la forêt. Le voyage devrai durer près de quatre jours au lieu de deux car nous devons éviter les grands axes, l'armée patrouille régulièrement selon nos éclaireurs. Les trois premiers jours sont les plus difficiles, Nélora nous fait serpenter à travers les champs, évitant les villages et les postes de garde. L'avancée s'effectue avec lenteur sans que nous ne puissions ne serait-ce qu'apercevoir la forêt. C'est au terme d'une quatrième et ultime journée de marche que nous parvenons, épuisés, au Sanctuaire de la forêt, du moins ce qu'il en reste. Les troncs géants des séquoias "Amis des cieux" ne sont plus que des pauvres torches incandescentes. Leur cœur toujours rougeoyant malgré le temps et les intempéries. La plupart de ces arbres majestueux sont au sol, toujours fumants, gisants dans la cendre blanche qui continue de tomber comme neige en hiver. Nos chaussures s'enfoncent dans l'épaisseur des restes de ces arbres autrefois si immenses qu'ils semblaient toucher le ciel. Nous restons sur nos gardes malgré le silence qui règne dans le Sanctuaire. Foulards sur le visage, nous nous protégeons comme nous pouvons face à la cendre qui pénètre nos bronches et qui nous arrachent des toux désagréables. Soulevant un nuage de poussière à chaque pas, Niveis semble retrouver sa joie de vivre.

« Ne te roule pas là dedans sinon il nous faudra bien deux jours pour te nettoyer » lui lancé-je. Évidemment, comme un enfant bravant les interdictions de sa mère, il plongea dans un tas de cette poussière grise. Ressortant tout content et gris de poussière, nous ne pouvons réprimer nos rires, voyant cette petite créature faire voltiger la cendre et se rouler par terre comme un chien heureux de sortir dans le parc avec son maître.

Nous voyons finalement le bout du tunnel, notre objectif est devant nous, toujours debout, attendant sous cette neige grisâtre et chaude. La petite maison dans laquelle j'ai vécu avec Béatrice, chez mon maître, chez Ammon. La bâtisse est curieusement toujours debout, comme figée dans le temps par la substance grise, épargnée par les flammes. Je fais tourner la poignée, la porte tourne sur ses gonds, lentement et dans un grincement familier. Je m'attendrai presque à voir Ammon assis dans son fauteuil, sirotant son étrange boisson. La réalité est tout autre, l'intérieur est plongé dans l'obscurité, les fenêtres étant bouchées par la saleté. Notre sac possède une petite lampe de poche que je m'empresse d'allumer. Tout est à l'identique, comme si il ne s'était rien passé durant ces dernières années, une parenthèse dans le cours du temps. Je dis à l'équipe de se poser sur les canapés, ma mission à moi commence ici.

Éclairée de ma petite loupiote je m'aventure dans le lieu qui comporte une grande majorité de mes vrais souvenirs pour le moment. Au bout du petit couloir, mon ancienne chambre est toujours dans le même état. Le lit est parfaitement fait le placard toujours aussi bien rangé, témoins du savoir faire de Béatrice.

Je trouve enfin un peu de réconfort dans cette pièce assombrie par la poussière des vitres. Ma robe en fil d'ombre offerte par Candice et... et le pendentif qu'Al m'avait offert, posé sur la table de nuit. Je ne peux contenir mon chagrin en repensant à ce fameux jour à Infami. Pourquoi aurait-il rejoint l'armée ? Pourquoi se joindre à ses ennemis ? Le pelage poussiéreux de Niv contre ma jambe me ramène à la réalité. Je le caresse malgré sa saleté avant de poursuivre la recherche de mon véritable objectif. La seule pièce dans laquelle je ne suis jamais allée, la pièce d'Ammon, sa chambre ou son bureau. La porte est fermée et aucune serrure en vue. Lorsque j'appuie sur la poignée, la porte ne fait aucun mouvement, aucun son qui pourrait me donner un indice pour l'ouvrir.

« Elie ? Tu veux avaler quelque chose ?

-Hein ? Euh... oui oui j'arrive... merci Pharia »

Le repas est frugal mais chaleureux, on rit, on chante, on danse même, on boit un peu puis chacun se trouve un coin pour étendre son couchage. Je ne parviens pas à trouver le sommeil, cette fichue porte continue de me hanter. Je conclue que je dois trouver la solution cette nuit, quitte à ne pas fermer l'œil de la nuit. Je m'assois devant celle-ci, sur le sol poussiéreux, attendant durant des heures que la réponse me vienne. Il à bien dû me laisser un indice quand même, me demandé-je. Ammon n'était pas idiot, il doit y avoir un moyen complexe d'ouvrir cette porte, pour éloigner les curieux. NON ! Bien sur que ce n'est pas complexe, Ammon prônait constamment le vide dans l'esprit, il disait qu'une tête trop pleine nous barrait la route vers un monde équilibré. Il répétait sans cesse que les gens trop cultivés finissaient noyés par leurs connaissances, aveuglés. Me vider la tête ! Voilà la solution, cet homme était un génie. Luttant contre le sommeil qui m'assaille depuis plusieurs heures, je ferme les yeux et me vide la tête, entièrement. Lorsque je ressens le vide complet de mon esprit, j'ouvre de nouveau les yeux et tente de baisser la poignée, en vain. Ma main est passée à travers la porte. Passé l'étonnement, je comprends que je n'ai qu'a traverser la porte, pas à l'ouvrir. Pourquoi bloquer l'accès à cette pièce ? Pourquoi user de son Ombre pour empêcher quiconque d'entrer ?

Au premier regard je suis plus que déçue, rien qu'un bureau, un lit et quelques livres posés au pied de ce dernier. Par curiosité j'ouvre le premier livre, vierge, simplement annoté : « c'est dans les souvenirs que se forgent les connaissances », je le jette sur le lit et en attrape un autre, vide aussi et annoté de la même façon. Tous les livres sont tous vides, sans intérêt, on à fait tout ce trajet pour rien...

Mon regard se porte de nouveau sur les livres ouverts, tous annotés de cette étrange phrase. Soudain, une odeur envoûtante pénètre mes narines, une odeur que je connais, que j'ai déjà sentis. Du memoriae, pensé-je. Cette plante aux pouvoirs aussi énigmatiques que dangereux, mais pourquoi ? Ma question est vite comblée d'un réponse lorsque mon regard se porte sur la table de chevet. Une tasse transparente, emplie d'un liquide sombre et fumant, comme si il venait d'être préparé. Éclair de génie ou inconscience je fais le rapprochement entre le message dans les livres et la tasse fumante, tout concorde, Ammon est décidément le plus grand génie de ce monde ou alors je suis la fille la plus idiote du monde. « c'est dans les souvenirs que se forgent les connaissances »après avoir testé le liquide afin de déceler toute trace de poison, j'ingère le contenu de la tasse en quelques gorgées.

Le noir complet, puis une voix au timbre rassurant

« Bienvenue Elie, dans une heure tu sauras tout, sur moi, sur le monde et sur ton passé. Si tu vois ces souvenirs c'est que tu es bien celle que j'ai entraînée et surtout, tu es bien celle qui rétablira l'équilibre du monde ou qui le fera basculer définitivement ».

Le Troisième SoupirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant