Espoir

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Pour des raisons de sécurité que je trouve au passage débiles et inutiles, nous traversons la totalité du sanctuaire dans le but de ressortir par l'arrière, rallongeant le chemin bien évidemment. Surtout que nous devons faire escale à Léaris, ce qui nous fait contourner la forêt par l'extérieur. Quand je demande aux autres, on me répond que c'est pour brouiller les pistes, au cas où... Je ne suis absolument pas convaincue mais je me plie docilement aux ordres. Le soleil, tout juste levé, filtre à travers les souches brûlées et mettant en évidence la poussière en suspension de ce lieu qui me paraît tellement étranger. La marche dans les cendres est étrange, c'est comme marcher sur un énorme tapis de feuilles mortes sans leur craquement caractéristique, c'est extrêmement doux et cela atténue nos pas, une bonne chose apparemment. Niveis ne se prive pas de ce terrain de jeu nouveau. Se roulant et sautillant dans ce lit de poussière grise, ressortant moins blanc à chaque fois. Il nous faut bien une demi-journée pour sortir de ce lieu étrangement magique. Nous nous arrêtons succinctement afin d'avaler quelque chose et repartons presque immédiatement.

Léaris se dessine au loin en contrebas, ville autrefois si belle, désormais lieu désolé et appauvri. Nous y parvenons en quelques heures, la ville grandissant au fur et à mesure que nous approchons. La détresse et le malheur de ce lieu sont presque palpables, les gens semblent morts de l'intérieur, comme des ombres, errant de maison en maison sans but précis. Je retiens la larme qui tente de s'échapper de mon œil, un sentiment de haine et d'injustice m'envahit, à tel point que j'ai envie de hurler à la mort. Sachant que cela ne changerai rien, je m'abstiens et garde la tête haute.

« Elie ! Ton foulard, vite !

-Oui pardon. » Je remonte à la hâte mon col au dessus de mon nez. Je ne dois pas me faire voir avant le discours, idée de Nélora. Elle s'est dit que faire un tour dans les villages pourrait en motiver certains à nous rejoindre. Ce n'était initialement pas prévu et je n'ai rien préparé.

« Dis ce que tu as sur le cœur, ça ira très bien et ça fera plus naturel » M'avait rassuré Thim avec un large sourire appaisant dont il avait le secret. Nous nous installons dans une maison encore debout laissée à l'abandon par ses propriétaires, morts ou enfuis. L'absence de cadavre me conforte dans la deuxième hypothèse ce qui me détend un peu. Pharia et Nélora me rappellent ce que je ne dois en aucun cas divulguer, l'emplacement des camps, les armes que nous utilisons, nos stratégies. Bien que cela me paraisse évident. Pharia ajoute un point en me prenant à part :

« Révéler ton identité pourrait avoir des répercussions énormes, c'est à toi de décider ce que tu souhaites faire ». J'acquiesce silencieusement d'un hochement de tête et vais m'isoler avec Niv afin de réfléchir. Assise sur les toits, contemplant l'horreur de ce monde. Des maisons brûlées, des cadavres dans les rues et encore pire, des gens qui marchent à côté sans y prêter attention. Comme si c'était devenu normal que de voir des dépouilles dans les rues. Ce qui achève mes réflexions et la fabrication de mon futur discours est un couple de cadavre : une enfant et ce qui doit être son père. Le choc est tel que je manque de faire mal à Niv que je caressais machinalement . Dans la maison, tout le monde s'active pour trouver un moyen qui me permettra de parler en étant hors d'atteinte des projectiles et des gens. Je finis par annoncer :

« Laissez moi faire, rendez-vous dans une heure sous le clocher du centre ville et surveillez les toits au cas où. »

Ils avaient approuvé, méfiants mais heureux que je propose moi même la solution.

Je remonte sur les toits avec Nivéis et me dirige vers la haute tour de la ville, à moitié effondrée, laissant à nu la lourde cloche de métal. Me rappelant ce que m'avait expliqué Béatrice sur le fonctionnement et les codes du clocher, je tire sur la corde et la fait sonner. Trois coups puis une pause suivie de deux coups lents. Le signal de rassemblement d'urgence en cas d'attaque. C'était le seul moyen que j'ai pour rassembler les habitants qui n'ont pas encore quitté la ville. Tandis qu'une petite foule se dessine au bas du clocher, j'aperçois au loin, dans la campagne, un groupe très ordonné, marchant d'un pas rythmé et lourd. Évidemment l'armée ne nous lâche pas, me dis-je. Je dois être brève pour faire passer mon message, je ne perds pas une seconde :

Le Troisième SoupirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant