Nous deux

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Tout mouvement se stoppe instantanément, je me sens faible, emprisonnée par les couvertures. Des picotement se font ressentir un peu partout dans mon corps, depuis le cœur jusqu'aux plus petits des orteils. C'est comme si mes sensations me revenaient une à une, comme si chaque parcelle de mon corps se réveillait après un long sommeil. Je garde longtemps mes yeux clos, à moitié éveillée, à moitié dans mon monde, je sens cependant que ma main droite est tenue par quelque chose de chaleureux. Des doigts aux mouvements lents caressent le dos de ma main, avec douceur et prévenance. Je profite égoïstement de ce moment, je devrais le rassurer en ouvrant les yeux mais j'ai besoin de ce moment de calme. Au bout de quelques minutes je me décide finalement à desceller mes paupières, la lumière m'aveugle un moment mais je finis par ouvrir totalement les yeux et décocher mon meilleur sourire à celui qui me tient la main. Nous nous passons de mots, de toute manière je crois que mes cordes vocales seraient inaptes à cette tâche. Jao m'empêche de me relever et brise le silence en me disant qu'il à trouvé des plantes qui permettent de désinfecter et il à concocté un onguent pour la plaie.

De nombreux jours passent et je ne prononce toujours aucun mot, comme si j'étais devenue incapable d'utiliser mes cordes vocales. Ce n'est pas comme lorsque j'attrapais froid, non, c'est comme si mon cerveau avait décider d'annuler cette fonction, comme si je n'avais jamais su parler. Jao passe toutes ses journées à nous approvisionner en eau, nourriture et bois de chauffe, sans lui je serait sûrement déjà morte de toutes les morts possibles et imaginables. J'ai de nouveau une dette envers lui, je lui en suis entièrement reconnaissante mais je ne peux même pas lui dire merci alors je m'efforce de lui faciliter au maximum la tâche. Les nuits sont froides mais je fais tout pour ne pas montrer que je suis frigorifiée, nous dormons ensemble, rien ne me réchauffe plus le cœur au monde. Après plusieurs mois dans cette sombre caverne, l'été est finalement là, j'ai finis par réapprendre à marcher et je retrouve doucement l'usage de la parole. Jao est devenu un as dans le domaine de la chasse, chaque soir, il me racontait ses péripéties et chaque soir je constatais qu'il apprenait de ses erreurs jusqu'à ne plus parler que de ses réussites. Mes premiers mots ont évidement été un « Merci... » noyé par les larmes et suivit d'une longue étreinte chaude et réconfortante. Je lui ai ensuite demandé de m'apprendre à chasser et enfin, après toute cette attente, à attendre que ma plaie soit définitivement cicatrisée, nous partons tous les trois dans la forêt, en quête de gibier pour le soir.

Je ne lui ai toujours rien raconté de ce que j'ai vu en bas, je veux d'abord savoir si ses souvenirs sont aussi embrouillés que les miens. Notre étrange proximité m'a mit la puce à l'oreille mais je n'y ai jamais vraiment repensé depuis.

Le ciel est d'un bleu magnifique, il est très tôt et c'est une jolie nuance entre la nuit et le jour qui se dessine sur la voûte céleste. L'air est frais mais c'est une agréable brise, qui fait chanter les feuilles et qui caresse mon visage. Je ne suis pas beaucoup sortie depuis que j'ai réussis à me remettre debout, j'étais trop occupée à préparer la viande et les baies pour manger. Jao en faisait déjà énormément, je ne pouvais me permettre de simplement le regarder de dépêtrer tout seul, alors je ravalais ma douleur et m'occupait de dépecer, de nettoyer et de préparer tout les animaux qu'il ramenait : lapins et lièvres, oiseaux de diverses espèces, biches par moments et même des serpents. Je préparais tout du mieux que je pouvais, innovant des recettes étranges mais nourrissantes.

Comme me l'a apprit Jao, je marche avec légèreté, évitant les branches qui pourraient craquer sous mes pas, arcs en main nous progressons lentement et nous nous enfonçons dans la profondeur de la forêt, dense et silencieuse. Notre patience est mise à rude épreuve mais finalement, au bout de quatre longues heures, un sanglier se présente à cinquante mètre de nous. Fouillant le sol de son groin à la recherche de nourriture. Je bande lentement mon arc, ferme un œil, vide mes poumons... Tchak la flèche est partie, filant à travers les arbres et décrivant une parabole entièrement calculée et elle vient se planter dans la chair de l'animal qui ne manque pas d'émettre des sons atroces. Nous revenons à notre grotte, Jao refusant que je porte la bête, de peur que je ne ré-ouvre ma plaie et il ne cède pas à mes protestations. La viande de sanglier a beau être plus forte que les autres, elle reste excellente une fois cuite au feu de bois. Les semaines passent et je m'améliore sérieusement au tir à l'arc, tellement que nous finissons par organiser des journées où nous nous séparons et chassons chacun de notre côté, Niv avec moi suite à la demande de Jao. Un soir, lorsque je m'occupe d'allumer notre feu, Jao me prend en tenaille avec une question à laquelle je ne pouvais m'attendre :

« -Elie, durant ton délire, tu hurlais que j'étais un éveillé, tu sais pourquoi ?

-Ehm... (me voilà dans de beaux draps, je décide de finalement tout balancer) Ce n'était pas juste du délire, je dois te dire quelque chose qui risque de te bouleverser et je suis on ne peux plus sérieuse.

-Je t'écoute ( il s'est arrêté dans sa découpe du sanglier).

-Bon alors... par où commencer ? Oui bon voilà, quand j'étais au Sanctuaire, je suis tombé sur un livre écrit par mon père.

-Ton père ? Tu ne m'avais pas dit qu'il était un salaud ayant sombré dans l'alcool ?

-C'est effectivement ce que je t'ai dis, mais j'ai mentis.

-Pourquoi ? Pourquoi tu aurais mentis sur un truc pareil ?

-Parce que mes souvenirs m'ont mentit, c'est étrange je sais mais les écrits du livre concordent avec certains de mes cauchemars.

-Quels cauchemars ? tu m'intrigue là. » C'est un regard curieux qui se dessine sur son visage, loin du visage méprisant que j'avais imaginé. Je me décide alors a tout lui raconter, depuis mon arrivée dans ce monde étrange jusqu'à notre première entre-vue sur le clocher de Learis. Je lui conte chaque souvenir et chaque cauchemar, chaque épreuves que j'ai du subir pour rester ici et devenir celle que je suis aujourd'hui. Il écoute avec attention, sans m'interrompre, hochant simplement la tête et montrant sa compassion, son empathie. Lorsque j'en arrive à la fin de mon délire dans cette grotte, je lui dis clairement ce que mes souvenirs m'ont montré, notre relation avant notre endormissement et sa réaction est plus que surprenante : Il me prend dans ses bras et dépose ses lèvres sur les miennes. C'est un moment unique, indescriptible, comme celui de revoir un proche parti à la guerre pendant des années, un soulagement, des larmes de bonheur, juste nous dans cette grotte, enlacés l'un à l'autre, ne formant qu'une seule entité, unie depuis toujours.

Il finit par m'expliquer quelque chose, la pièce manquante à mon puzzle, mon père lui avait fait jurer de ne jamais me parler de mon passé, il ne voulait pas que je me souvienne de ma mère, de sa mort atroce dans le bunker, il ne voulait pas que je me rappelle cette catastrophe naturelle meurtrière, il voulait que je vive heureuse. De peur que mes souvenirs remontent à son contact, il avait interdit à Jao de m'approcher ou de me parler une fois que nous serions réveillés. Il à tenu sa promesse jusqu'à ce fameux jour où nous nous sommes battus en haut de ce clocher, il a aussi été éveillé bien trop tôt, deux ans avant moi et il à été recueilli par les rebelles après deux mois d'errance, affamé et incompris par ceux auxquels ils expliquait sa situation. Mes souvenirs avec ce garçon se libèrent de leurs liens, je me remémore tous nos moments ensemble, ces petits moment de complicité depuis l'enfance jusqu'au moment où il avait franchi le pas et m'avais demandé de sortir avec lui. Au début je ne savais que dire, je ne savais pas quoi ressentir, mais j'ai vite compris que j'avais besoin de lui et il me le prouve encore aujourd'hui, plus de 500 ans après sa demande.

Le Troisième SoupirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant