Après ma journée de repos, je me sentais mieux. Au niveau physique, je veux dire. Parce que côté mental c'était le souk. Un bordel pas possible. Je m'y retrouvais plus. Je ne savais toujours pas d'où venait ces crises qui, en plus, commençaient à doubler en intensité. Je ne savais pas non plus ce qu'il se passait avec Hinata. Je m'étais senti bizarre quand il avait commencé à parler de Haru. J'y avais réfléchi toute la nuit. Je l'aimais bien pourtant, ce seconde. Il était un peu pot-de-colle, voire beaucoup parfois, et il n'arrêtait pas de me poser des questions mais il n'était pas méchant. Il m'avait même dit le jour où on s'était rencontré au club pour l'arrivée des nouveaux:
"Ouah! C'est toi Kageyama Tobio ? Le Kageyama ? Géant! T'es trop incroyable comme mec! Dis, dis, je peux t'appeler Kageyama-senpai ?"
J'étais tellement fier d'être admiré d'une telle façon que les autres membres de l'équipe n'avaient pas arrêté de me charrier pendant une bonne semaine à propos de ce surnom. Je lui avais même montré quelques trucs de passeurs pour l'aider à progresser, chose dont je ne me serais jamais cru capable.
Alors je ne comprenais pas pourquoi ça m'irritait, pourquoi ça m'énervait à ce point quand il me parlait de lui. Puis une phrase que m'avait dite un jour Oikawa m'est revenue en mémoire. Je ne sais plus exactement pourquoi il avait dit ça mais il avait dit : "Il finira par te bouffer"
Il finira par me bouffer.
Et là, j'ai réalisé. J'avais peur qu'il me dépasse. Ce bleu avait réussi avec Hinata, un joueur qui ne jouait pratiquement qu'à l'instinct, à faire un truc que je n'arrivais toujours pas à faire au bout d'un an et demi. Bien que j'imaginais qu'il ne pouvait pas être aussi précis que je l'étais et qu'il n'arriverait sans doute pas non plus à jamais réussir notre tendue si particulière - même si certains ont un jour réussi à la copier - j'avais peur qu'il me vole la vedette, en me volant mon attaquant. C'était Hinata qui m'avait forcé à pousser mon potentiel au meilleur de lui-même. Et c'était moi qui avait fait de lui l'étoile montante qu'il était. Il n'était pas question de laisser cet inconnu se glisser au milieu de notre progression. On n'était qu'en première, il nous restait encore un long chemin à faire. Malgré mon niveau, je me rendais bien compte du fossé qui nous séparait des équipes pros. Mais Hinata était le seul joueur vraiment compliqué de l'équipe. Le seul qui arrivait à me stimuler pour donner le maximum de mes capacités. Et je savais pertinemment que si je laissais quiconque le faire progresser à ma place, je serais rattrapé. "Sois encore plus proche de tes ennemis que de tes amis". Nous étions destinés à être rivaux, pas question de laisser qui que soit prendre de l'avance sur moi. Je serai le meilleur. Le meilleur joueur de tous les temps. Et j'y arriverais, quoi qu'il m'en coûte.En sortant de mes pensées, je remarquai que j'étais déjà arrivé devant le gymnase. J'ouvris la porte coulissante en saluant tout le monde, comme d'habitude. Ukai m'interpella :
- Ah Kageyama! Viens deux minutes, il faut que je te parle du camp d'été.
Je me dirigeai vers lui et écoutai attentivement ses explications.
- Le camp aura lieu pendant les deux dernières semaines de juillet. Vous aurez entraînement le matin et match l'après midi. Quartier libre le week-end. Ce sera à Kyoto et plusieurs autres équipes participeront. On partira le lundi matin et on reviendra le dimanche soir en car.
Il me tendit un papier.
- Fais signer, ou je te laisserais pas partir.
Je le remerciais et commençais à m'en aller vers le terrain pour m'échauffer quand il me lança :
- Et bien sûr, je veux de bons résultats aux examens de la semaine prochaine, sinon tu passeras tes deux semaines sur le banc.
Des frissons me parcoururent le dos, à l'idée de ne pas pouvoir prendre part au stage. Déjà que ça avait presque était le cas l'année précédente...
Je répondis avec un "oui" déterminé.
Pas question de rester sur banc. Je serai le meilleur.
J'étais remonté à bloc et je partis m'entraîner, plus enthousiaste que jamais.
Mais ce fut de courte durée. Lorsque Hinata apparut dans mon champ de vision, mon sang se figea.
Les crises...
Je les avais presque oubliées.
J'étais tellement heureux avec cette histoire de camp d'été qu'elles m'étaient sorties de la tête.
Et si elles se déclenchent pendant le stage, je ferais quoi ? Pas moyen de se cacher ou s'isoler... Et puis il y aura toutes les autres équipes aussi... Comment je fais si...
- Oh Kageyama, t'es revenu alors ?
Hinata s'était approché sans que je m'en aperçoive. Je cachai mon trouble et lui répondis un "ouais" sans plus d'émotion.
- Puisque t'es là, on peut te montrer ! Haru!Viens on montre à Kageyama notre technique secrète !
Là, mon masque d'impassibilité fut plus dur a conserver. Je tressaillis.
Quant à eux, Haru et Hinata avaient les yeux qui brillaient. Comme des gamins avec un nouveau jouet. Moi aussi, j'aurais pu être excité à cette nouvelle. Mais je n'y arrivais pas. Même en essayant de me forcer, je sentais que l'on pouvait facilement percer à jour mon emballement de façade. Je devais faire une drôle de tête. A mi-chemin entre la joie hypocrite et le dégoût, ça devait faire une belle grimace. Cependant, ils ne semblèrent pas s'en rendre compte. Ils effectuèrent leur "technique secrète" sans même attendre de savoir si je voulais qu'ils me la montrent.
Au moment où Hinata frappa le ballon, et pendant tout le temps où il resta en l'air, je ne pouvais m'empêcher de me demander pourquoi ce n'était pas moi qui lui était la balle. Pourquoi est-ce que j'étais sepectateur. Je sentis un sentiment lourd et oppressant écraser mon cœur, comme la veille.
Malgré tout, j'étais bien forcé de reconnaître que leur tandem était époustouflant. La passe était bien qualibrée et plutôt précise et la position de Hinata ne laissait pas l'opportunité de deviner la trajectoire de la balle. En plus, la vitesse et l'angle de frappe faisait que la balle venait s'écraser en un clin d'œil sur le sol, dans une zone stratégique et très compliquée à bloquer. Y avait pas a dire, c'était une ligne parfaite. Déstabilisante pour le bloc, imprévisible pour la réception. Un truc de dingue. Et moi, ça mettait sur le cul.
Mais pourquoi j'ai jamais réussi à lui faire faire une attaque pareille ?
- Alors ? Alors ? T'en penses quoi ? Pas mal, hein ?
Je renfilai mon masque.
- Ouais. Pas mal.
- C'est grâce à toi que j'ai réussi à faire une aussi belle passe Kageyama-senpai !
Je ne saisis pas le pourquoi du comment, mais quand ce fut Haru qui me parla, ce ne fut plus un sentiment de détresse ou d'exclusion mais une véritable haine qui s'empara de moi. Je ne répondis rien, mais du fond de mes tripes, j'avais envie de lui hurler que je n'en avais rien à foutre. Il me tapait sérieusement sur le système. Même le surnom qu'il me donnait n'y faisait plus. Au contraire, ça m'horripilait encore plus.Pendant toute la séance, ce soir-là, j'avais fixé Haru, observé dans ses moindres mouvement. Et dès qu'il faisait une faute ou des mouvements inutiles et superflus, je me retenais de ne pas lui balancer des obcénités à la gueule. Le simple fait de le voir m'énervait et j'en venais même à me demander comment j'avais fait pour le supporter depuis le début de l'année. Mais le pire, c'était quand il me voyait le regarder et qu'il me souriait.
Il se fout de ma gueule le guignol ! J'vais le lui faire manger son sourire...Quand l'entrainement s'est terminé, après s'être changés, on a quitté le lycée tous ensemble. Je marchais à la traîne, Haru et Hinata devant moi. Ils rigolaient comme deux idiots, pendant que moi je ruminais mon agacement profond. Je ne les écoutais pas. Je n'en avais aucune envie. Pourtant, une phrase prononcée par Hinata parvint à mes oreilles :
- J'ai trop hâte de montrer notre nouvelle technique aux autres équipes pendant le camp d'été ! A Kenma et tous les autres ! Ils vont être scotchés !
A ce moment-là, je me suis senti blessé. Très violemment. Un terrible coup de poignard. En plein cœur.
Il veut que ce soit Haru son passeur. Et moi... Moi je serais sur le banc. Je ne suis plus... qu'un remplaçant.
C'en était trop. Je ne devais pas, je ne pouvais pas me retrouver sur le banc. C'était impossible. Pas moi. J'étais chez les U-19, l'équipe nationale de volley. Il ne pouvait pas préférer un débutant. C'était tout bonnement impensable.
Je... Je ne peux pas le laisser faire... Personne ne se mettra en travers de mon chemin !
Mon sang ne fit qu'un tour. Arrivant à un carrefour, j'attendis qu'il s'arrête avant de traverser la route et...
Mais qu'est-ce que je m'apprête à faire là ?
Je m'arrêtai juste à temps. Une voiture passa deux secondes après.
J'étais prêt à le pousser...? J'étais prêt à le... à le... Mais bordel ! Mais qu'est-ce qui ne va pas chez moi ! Merde !
Je restai figé, incapable de comprendre le sens de mes actions. J'étais horrifié. Comment ne serait-ce que l'idée d'une telle chose avait-elle pu me venir à l'esprit ?
Y a clairement quelque chose qui tourne pas rond chez moi... Je suis...J'étais...
Le feu passa au rouge. Le signe des piétons devint vert. Hinata et Haru traversèrent, toujours en discutant, sans remarquer mon comportement plus qu'étrange. Quand ils furent à l'autre bout de la rue, ils se retournèrent pour me chercher et me crièrent de les rejoindre.
Je ne peux pas... Pas après ça... Et si ça me reprenait...? Si je...
Je ne voulais même pas y penser.
Je fis demi-tour, prétextant que j'avais une course a faire.
Je rentrai chez moi en courant. J'avais peur. Peur de moi, peur de ce que j'étais en train de devenir. Je devenais complètement taré. Si ça continuait, on finirait par m'interner. Je n'en pouvais plus. J'étais à bout.
En rentrant, je me suis enfermé dans ma chambre. Et j'ai pleuré. Comme j'avais sûrement jamais pleuré auparavant. J'étais fatigué. Fatigué de moi, de cette vie et de tout le reste.
J'en peux plus... Faites que tout s'arrête... Que tout redevienne comme avant...
- J'aimerais tellement... que tout redevienne comme avant...
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Burnt By The Sun
FanfictionJ'ai appelé ça des "crises". Ce sont des périodes pendant lesquelles mon corps ne répond plus. Des périodes de souffrance, qui ne dure que quelques minutes, une fois par jour mais qui ont foutu ma vie en l'air. Elles présentent beaucoup de symptôme...