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Noir. Tout autour de moi était noir. Vide. Sans lumière et sans bruit. J'avais l'impression de tomber dans un puits sans fond. L'impression de chuter toujours plus bas, sans jamais m'arrêter, encore et toujours dans ce vide infini.
Je me sentais léger. Libre. Libéré. Et pourtant je tombais. Avec le sentiment d'oublier quelque chose d'important.
Les souffrances.
C'est vrai que je n'avais plus mal. A vrai dire, je ne sentais plus rien. Mais étais-je réellement à ma place ?
Il me semblait que j'attendais quelque chose. Quelque chose qui me sortirait d'ici, ou du moins stopperait ma chute. Mais quoi ? Quelqu'un peut-être ?
La mort.
La mort, hein ? Oui peut-être bien. Je n'avais pas l'air d'être vraiment vivant. Mais l'avais-je jamais été un jour ?
Quelque chose m'échappait. Pourquoi étais-je là ? Que s'était-il passé ? Où étais-je ? Qui étais-je ?
Je prenais petit à petit conscience que la mémoire me faisais défaut. Plus aucun souvenir. Plus de nom, plus de famille. Plus de vie. Tout s'était évaporé. Complètement effacé. Comme si j'avais été reprogrammé. Chose étrange malgré ça, je n'étais pas paniqué le moins du monde. C'est comme si ce lieu étrange occultait toutes les mauvaises pensées, repoussait tous les sentiments négatifs. Il y avait pourtant bien de quoi s'inquiéter. Mais non. Je ne sentais pas mon cœur s'accélérer, ni mes oreilles bourdonner.
Je plaçai machinalement ma main sur ma poitrine, serein, mais comme dénué de toute énergie. Je voulais encore me donner l'espoir que tout n'était pas terminé. Pourtant... Je ne pus rien percevoir. Pas un battement, pas une pulsation. Dès lors que je me mettais à y réfléchir, je ne m'entendais pas respirer non plus.
Alors... Je suis vraiment mort ?
Je n'arrivais ni à être triste ni à être soulagé. Après tout, peut-on pleurer ou rire de quelque chose dont nous n'avons aucun souvenir ? Ma vie n'était plus pour moi que néant et noirceur. Mon passé était si flou et embrumé que c'était comme si je n'avais jamais existé.
Tout à coup, mon dos toucha quelque chose de souple et de mou. Puis mes jambes, et ma tête. Tout mon corps s'enfonça dans cette étrange matière et je ferai les yeux.
Je fus alors aveuglé par la soudaine lumière qui me transperça les paupières. Je les rouvrais à grand peine. Tout le noir avait disparu et je ne tombais plus. J'étais allongé un milieu d'une surface blanche éclatante dont je ne voyais pas la fin, quelle que soit la direction dans laquelle je regardais. Je fixais alors vers le plafond. Le ciel. Je voyais le ciel. Sans nuage, d'un bleu clair et éblouissant. Je me redressait et cherchais du regard. Je ne savais toujours pas quoi. Mais dans cet endroit entièrement désert, j'étais certain que la personne que j'attendais serait forcément la première que je verrais.
Je me suis relevé et j'ai marché un peu, histoire d'élargir mon champ de vision.
- Ah! Tu es là!
Une petite voix d'enfant venant de derrière avait brisée le silence, me faisant sursauter. Je me retournai pour regarder le nouveau venu en face.
Il devait m'arriver à la taille. Des cheveux d'un noir de jais tomber sur son front cachant légèrement ses yeux azurés. Il était habillé simplement, avec un short, un t-shirt et des baskets. Il avait un ballon de volley dans les mains.
Une minute! Mais c'est...
- Eh ben, qu'est ce que tu fais ? Tu viens ? me demanda-t-il l'air renfrogné.
Il m'attrapa par la main et me tira pour m'emmener je ne sais où. J'étais de plus en plus perdu.
- A... Attends! Où... Où est ce qu'on va ? Et puis non, c'est pas ça qui est important... Tu es...
- Toi. L'inverse est vrai aussi. Je suis toi. Tu es moi.
Il ne s'était même pas retourné pour me parler. Comme si ce qu'il me disait était la chose la plus normale du monde.
C'est clair... Tout le monde parle avec son lui du passé. C'est évident.
Mon cerveau carburait à cent à l'heure. Mais ma voix restait calme je n'arrivais pas à m'énerver, à crier. Mon corps était comme séparé de mon âme. Mes actions ne reflétant nullement mes pensées
Je retirai pourtant ma main de la prise de l'enfant. Enfin... De moi.
- Je... Suis mort, c'est ça ? Je ne me souviens de rien mais tout est si étrange... Je comprends rien... Tu... Je suis qui au juste ?
- Ah ben ça! Il paraît que la traversée fais toujours cet effet-là. C'est pour ça que je suis là d'ailleurs. Allez, viens. Faut qu'on se dépêche.
- Pourquoi ? Où est ce qu'on va ?
- A la pêche au souvenir.
- Hein ?
À ce moment précis, je n'y compris vraiment plus rien. D'ailleurs, le doute et la perplexité avait sûrement dus enfin transparaître sur mon visage car je... Il... Bref, l'enfant soupira, presque exaspéré.
- On m'avait prévenu que ce serait chiant à faire comme boulot... Enfin. Autant tout reprendre depuis le début. Tu t'appelles Tobio Kageyama. Tu as dix-sept ans. Et tu es en train de mourir. A ce stade, tu n'es ni mort ni vivant. Tu te trouves ici à ce que certains appellent "la Frontière" ou encore "l'entre deux". Moi je suis ici pour décider de quel côté tu vas ressortir. Mais tout dépendra de toi bien sûr.
- Donc... Tu n'es pas vraiment moi ?
- Non pas exactement. Je prends en général la forme la plus susceptible de te faire faire le bon choix. Et dans ton cas...
- Et je dois faire quoi exactement ?
- Choisir. La vie ou la mort.
- Quoi, c'est tout ?
- C'est tout, mais c'est pas rien quand même. Pour pouvoir choisir il te faudra d'abord retrouver tes souvenirs. Et disons que parfois... Les souvenirs font changer d'avis.
Il reprit sa marche, me laissant derrière un moment, avant que je ne le rattrape. Je n'avais pas très envie de le suivre mais qu'est-ce que je pouvais bien faire d'autre ? Ce n'était pas comme si j'avais le choix.
- On va où exactement ?
- Pas très loin.
On marcha quelque temps sur le sol blanc immaculé et vide. Puis une porte, seule, droite au milieu de cet espace désert se dressa devant nous. C'était une porte fermée, blanche, ordinaire, si on oubliait le fait qu'elle ne donnait sur aucun bâtiment. Ce n'était qu'une simple porte.
- A toi l'honneur, me dit mon compagnon.
- Y a quoi derrière ?
- Tu verras bien.
J'ouvris la porte. Elle donnait sur un gymnase.
Attends... Un gymnase ? Ici ? Mais... HEIN ???
- Je vois... murmura ma miniature. C'est pour ça que j'ai cette apparence ridicule.
- Hé! Je t'entends.
- Oh, pardon.
Nous étions dans les gradins, juste au dessus du terrain. Tout était vide.
- Qu'est-ce qu'on fait ici ?
- Attends, ça va commencer.
Du bruit se fit alors entendre en dessous et un groupe d'hommes âgés de la vingtaine environ entrèrent. Il discutait entre eux. L'air heureux. Détendus. Puis ils se mirent en place sur le terrain et commencèrent à jouer.
Ah... Mais c'est...
- Alors ? Ça te dit quelque chose ?
- C'était la première fois que je voyais un match de volley. J'avais six ans je crois... Mais comment... ?
- On appelle cet endroit le "Biomaton". Tous les souvenirs importants et décisifs de ta vie vont se rejouer ici. Ils t'aideront à choisir vers quel bord de la Frontière tu vas pencher. C'est de la que viens l'expression "voir sa vie défiler devant ses yeux".
J'étais captivé par ce souvenir qui ressurgissait devant moi comme une vieille cassette retrouvée dans un placard oublié.
Le volley. C'était ce jour-là que j'avais commencé à adorer ce sport. Je me souvenais. Je jouais près du gymnase, tout seul, lorsque j'avais vu ce groupe de gars. Ça m'avait intrigué. J'avais voulu voir de plus près. Alors j'étais entré discrètement pour regarder. Ça m'avait tout de suite plu. Et puis il y avait ce passeur... Ce poste, cette place, c'était ce que je voulais. Être le pilier. Celui autour de qui l'équipe se rassemblait. Autour de qui tout gravitait. Sans passe, pas de coordination, donc pas de jeu. Le passeur, c'était l'être indispensable. C'est comme ça que je le voyais.
- Alors tu t'es dit que si tu devenais le centre de l'équipe, tu serais plus tout seul, hein ? Eh ben...
J'ouvris des yeux ébahis devant ce mots.
- Mais... Comment tu...
- Devines ce que tu penses ? Laisse tomber, c'est trop compliqué.
- Ah. Ok.
J'étais tellement abasourdi que rien d'autre ne m'était venu à l'esprit que ce simple et banal "ah, ok".
Je redirigeai ensuite mon regard vers le terrain où mes premières idoles anonymes s'affrontaient. Les souvenirs me revenaient peu à peu. Le volley c'était toute ma vie. C'était ma raison d'être. Ce pour quoi j'étais fait. Le ciment de ma vie. Je le savais. Je le savais au plus profond de mon être et de mes entrailles même si ma tête ne pouvait pas encore tout à fait me le prouver. Mais je sentais que quelque chose bloquait. Que tout n'était pas encore éclairci. Et que ce que j'allais bientôt apprendre allait me bouleverser. Après tout, j'étais littéralement entre la vie et la mort. Et je savais également très bien que le volley y était pour quelque chose.
L'équipe en dessous disparut bientôt pour laisser place à un autre. Le premier club où mes parents avaient essayé de m'inscrire. Ça n'avait pas très bien marché je dois dire. Je n'étais pas le type du genre sociable. Même à l'époque. Et puis ce fut au tour du club du collège de faire son entrée. Les groupes défilait en même temps que les souvenirs. Je me remémorais chaque étape de ma vie jusqu'à ce fameux jour, à ce fameux tournoi. Ce fameux match. Je me voyais là, en bas, en train d'hurler après un garçon roux de mon âge, bien qu'il soit de loin plus petit que moi.
- Hinata...
A ce seul prénom, un malaise m'envahit. Mon cerveau me hurlait d'arrêter. Ce que je verrais ensuite ne me plairais pas. Il fallait définitivement en rester là, tant que tout allait encore bien.
- C'est là que les choses deviennent intéressantes... Souffla l'autre, toujours debout à côté de moi.
- Arrête... Je ne veux pas...
- Arrêter maintenant ? Si tu ne peux pas accepter la vérité, je ne peux pas accepter de te renvoyer sur Terre. Je peux te laisser partir maintenant mais tu mourras sans jamais savoir ce qu'il t'est arrivé.
Voulais-je mourir ignorant mais bienheureux ? Ou bien souhaitais-je encore avoir une chance de vivre, a fortiori dans la souffrance, mais en connaissance de cause ?
Ma tête me disait de reposer en paix tandis que mon coeur réclamait la vérité. La raison aurait voulu que je me contente d'une petite vie sereine, mais mes instincts me hurlaient qu'on ne peut mourir heureux sans avoir accepté la façon dont on est partis.
Il fallait trancher.
- Alors ?
- On continue...
- Bien.
Puis le roulement se ooursuivit. Les personnes qui avaient peuplés ma vie et mes souvenirs les plus marquants passaient sous mes yeux les uns après les autres. L'entrée à Karasuno. Les matchs. Les disputes. Les victoires. Les défaites. Les joies. Les peines. Tout.
Et puis je revis cette fameuse scène. Et ces mots cruels résonnèrent de nouveau dans ma tête.
"Ne me fais plus jamais de passe"
Je n'avais plus besoin de voir la suite. Tout était clair à présent. Voilà la raison pour laquelle j'étais là. J'avais perdu tout ce qui avait donné un sens à ma vie solitaire. Je me souvins alors d'une autre phrase. Il fallait que je me "rende compte". Cette fois, en revoyant toute cette vie de loin, comme ça, en dehors de moi-même, je croyais enfin comprendre ce qui m'avait jusque là échappé.
- Tu as compris maintenant ? Ta planche de salut, c'est pas le volley...
- C'est lui.
Je comprenais tout à présent. Ce moi, qui semblait me guider, c'était mon rejet intérieur de la réalité. Je ne voulais pas comprendre que le volley n'avait aucun intérêt sans Hinata. J'avais commencé ce sport parce que je voulais qu'on me regarde, et rien d'autre. Cet enfant était la représentation même de ce désir  d'attention. Et mes crises. C'était sûrement ça aussi. Parce que je considérais que le volley était la chose la plus importante au monde alors que c'était de lui que j'avais réellement besoin.  De son amitié. De son soutien. Et il avait pratiquement fallu que je meure pour que je puisse m'en rendre compte. 
J'avais pris ma décision.
- Il faut que j'y retourne.
- Même si ça signifie souffrir et peut-être ne jamais atteindre le bonheur auquel tu aspires ?
- Peu importe. Il faut que je lui parle.
- Très bien. Alors... Bon retour!
Mon interlocuteur me poussa alors violemment contre la balustrade des gradins et je tombais a la renverse. Surpris, je fermai les yeux. Mais jamais je n'ai percuté le plancher familier du gymnase.
Je me sentis cependant redevenir de plus en plus lourd. Des douleurs se ravivaient à petit feu, partant de tous mes membres. Mon cœur se remit à battre dans ma poitrine, plus fort et plus rapidement que jamais. Ma respiration aussi reprenait à grand peine.  Mes sens s'éveillaient comme d'un long sommeil.
J'avais la tête et le corps enfoncés dans une texture moelleuse et confortable.
Je baignais dans une odeur de propre et de désinfectant.
Et en fond, j'entendais un bruit. Régulier. Légèrement strident.
Bip. Bip. Bip.
Il y avait une voix aussi. Familière et douce.
Quelque chose bougea près de moi.
Une pression délicate sur ma main.
J'ouvris les yeux.

Burnt By The SunOù les histoires vivent. Découvrez maintenant