Confiance

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Quand je suis sorti des toilettes je suis retourné en classe, déterminé.
J'irai au stage la semaine prochaine, un point c'est tout !
J'avais retrouvé la motivation et l'envie d'en découdre avec les poètes du dix-septième siècle. J'allais tout donner pour pouvoir m'entraîner.
Je suis le meilleur !

La journée touchait à sa fin. J'étais crevé. Si j'avais eu entraînement, je le serais probablement écroulé. Mais je me sentais bien. Après plusieurs jours assez tourmentés, c'était un peu plus calme et tranquille dans mon esprit. Pas pour longtemps.
Je passais le portail du lycée quand j'entendis une voix familière crier mon nom:
- Kageyamaaaaaaa !
Hinata fonçait dans ma direction. Il s'arrêta devant moi, essoufflé.
- Qu'est-ce que tu veux ?
- Je... Je voulais te demander si tu... Si tu voulais pas... Aller... Fouh... Au temple... Avec... Moi
- Hein ? Pour quoi faire ?
- Pour... prier... Ça nous...portera chance pour les... Pour les exams...
Je réfléchis un instant. Je n'y avais pas pensé mais je pourrais peut-être faire d'une pierre deux coups et faire quelque chose pour mes crises...
Pas que je sois spécialement croyant mais qui sait ?
- D'accord.
- Génial !
Il me sourit puis une lueur passa dans ses yeux et il cria :
- Le dernier arrivé a perdu!
Et il se mit à courir comme un dératé. Je restai quelques secondes figé puis, un peu agacé par sa fourberie, je me lançai à sa poursuite.
- Attends un peu, tu vas voir, espèce de tricheur...
On courut comme ça pendant près d'une demie heure, en nous tirant la bourre au milieu des passants ahuris jusqu'au temple. Même dans les escaliers, on ne s'était pas arrêtés. A ce moment-là, je ne pensais à rien d'autre que gagner.
Il m'a provoqué, alors je vais pas lui faire de cadeau !
Je courais l'esprit libre, faisant fi de tout le reste. J'étais bien...

On était presque arrivé, il devait rester même pas cinq marches. On n'en pouvait plus mais on a encore accélérer l'allure. Ni l'un ni l'autre ne voulait céder. Nous avons posé le pied au sommet en même temps.
- J'ai... J'ai gagné... soufflai-je entre deux inspirations.
- Même... Même pas en rêve... C'est moi... qui ai gagné...
On se regarda un instant et on éclata de rire. On avait mal aux côtes tellement on riait. On en pleurait. Hinata était à deux doigts de s'étouffer et ça fit repartir mon fou rire de plus belle.
Putain, depuis quand j'avais pas ri comme ça ?

Après s'être calmés, on a prié. Les mains jointes devant moi et les yeux fermés, je souhaitais de toute mon âme que quelqu'un m'entende, là-haut. Je demandais pas la lune. Juste de pouvoir avoir la moyenne à mes exams, pour pouvoir aller au camp, et que mes crises se calment. Juste ça. Rien d'autre.
C'est pas trop demander... Si ?

- On se voit demain ?
- Ouais.
On s'est séparé, rentrant chacun de notre côté. Quand j'ai passé la porte d'entrée, ma mère m'a accueilli, affolée.
- Mais bon sang, Tobio! Tu as vu l'heure ? Qu'est-ce que tu faisais ? Tu m'as bien dit que tu n'avais pas entraînement, non ?
Elle semblait vraiment inquiète. Faut dire que j'étais pas très causant en ce moment. Y avait de quoi se faire du souci. Je m'en voulais. Mais je ne voulais pas lui en parler. J'étais persuadé que les choses allaient rentrer dans l'ordre.
- Désolé, maman. J'ai juste fait un saut au temple.
- Au temple ? Et tes examens ? Ça s'est bien passé ?
- Plutôt, oui.
- Bon...
Elle fit une pause, pour chercher ses mots.
- Tobio, mon chéri, tu sais que tu peux me parler si ça ne va pas... Ton père et moi... On est inquiets... Depuis que tu as fait ce malaise tu sembles... distant... Tu peux me dire, tu sais, si tu as des problèmes au lycée ou quoi que ce soit...
Je la regardais. Elle se tordait les mains, comme elle le faisait toujours quand elle s'inquiétait. Ses yeux étaient légèrement rougis mais ils me regardaient bien droits, sans ciller. Je la dominais d'une bonne dizaine de centimètres maintenant. Mais c'était toujours elle qui me protégeait. Elle était toujours là, à veiller sur moi, malgré son travail crevant et papa qui ne rentrait parfois même plus. Je voulais les rendre fiers. Mais, pour l'instant, je ne faisais que leur causer du souci.
Mais tout sera bientôt fini. Les crises se sont arrêtés depuis deux jours, j'ai retrouvé la motivation. Après tout, c'était peut être juste le stress des évaluations de fin de trimestre...
Je ne pouvais pas les contrarier plus que ça. Ils avaient déjà assez de soucis.
Je lui fis mon plus beau sourire.
- T'en fais pas maman. Ça va. J'étais juste un peu stressée par les examens mais ça va maintenant. J'te promets que je te ramènerai de super résultats!
Je l'ai embrassée sur la joue. Puis tout à coup, alors que je me reculais, elle m'a serré dans ses bras.
- Tu sais... me dit-elle, la gorge serrée, on est très fiers de toi avec ton père. On sait qu'on est pas très présents pour toi ces derniers temps. Mais tu pourras toujours compter sur nous. Toujours.
- Je sais maman. Merci.

Ça faisait longtemps que je n'avais pas passé une aussi bonne journée. Ce soir-là, je m'endormis heureux.

J'étais assis à une table. En face de mes parents. Il ne me regardaient pas. Ils avaient les yeux baissés, fixaient leurs chaussures. Je leur demandai :
- Ça va pas ?
Ils ne me répondirent rien. Silence.
- Maman ?
Encore un silence. Puis :
- ...Pourquoi ?
- Hein ?
- Pourquoi tu me mens, Tobio ?
- Pourquoi je... Mais de quoi tu parles ?
Elle haussa le ton.
- Ne fais pas l'idiot !
Puis elle éclata en sanglots.
- Pourquoi tu as fait ça ? C'est abject! Complètement impensable! Tu... Tu es un monstre !
Ses paroles me firent comme des milliers d'aiguilles qui me transperceraient de toutes part. Je ne comprenais pas. Il y a quelques heures elle disait qu'elle était fière de moi.
- Tu ne peux pas être mon fils!
- MAIS DE QUOI TU PARLES A LA FIN ?
J'avais hurlé du plus fort que je pouvais. Les larmes coulaient à flots. J'étais perdu. Anéanti. Détruit. Mon cœur venait d'imploser en une infinité de petits éclats. Complètement réduit en miette. Je souffrais. Je souffrais si fort! Je hurlais de désespoir. J'avais mal! Tellement mal! Mon corps pesait si lourd. Je brûlais de l'intérieur. J'étais recroquevillé par terre me tenant les oreilles pour essayer de ne pas entendre ces abominables paroles résonner sous mon crâne. Puis j'aperçus des chaussures. Quelqu'un se tenait debout devant moi. C'étaient des chaussures de gymnase. Comme on avait pour le volley. Blanches avec des bandes rouges. Je levais la tête.
- Hi... Hinata...
Je pensais trouver ne serait-ce qu'un tout petit peu de réconfort sur ce visage doux et familier. Mais je ne vis dans ses yeux que de l'horreur et du dégoût. Une répulsion tellement profonde à mon égard que je ne pouvais soutenir son regard.
Pourquoi ? Pourquoi lui aussi ? Pourquoi me regardent-ils tous comme ça ? Qu'est-ce que j'ai fait bon sang ? Qu'est-ce qu'il se passe ?
- Tu l'as tué.
- Qu...quoi ?
- Tu as tué Haru ! Tu n'es qu'un meurtrier! Un sale assassin! JE TE HAIS!  TU ME DÉGOÛTES!
- Non...Non... Je... je ne l'ai pas tué... Ce n'est pas possible... Je ne l'ai pas poussé...
- Tu n'es qu'un sale menteur...
- NON! NON! TAIS-TOI ! JE N'AI RIEN FAIT! ARRÊTE! TAIS-TOI ! TAIS-TOI !
Je vous en supplie... Arrêtez... Au secours... Aidez-moi... Sortez moi de là...
Je n'aurais jamais pu imaginer qu'endurer une telle douleur fut possible. Tout mon corps semblait se consumer de l'intérieur. Même respirer devenait insupportable. L'air dans mes poumons était du feu, le sang dans mes veines était du feu, les larmes qui coulaient le long de mes joues étaient du feu. J'en venais même à penser que seule la mort pourrait arrêter ce calvaire. Mais je n'étais pas au bout de mes peines. Haru arriva les habits et le visage en sang. Il portait les mêmes vêtements que ce soir-là. Il arriva, comme perdu, les yeux tristes. Il s'adressa a moi :
- Kageyama-senpai, pourquoi... ? Pourquoi tu m'as fait ça ? Ça fait mal... J'ai mal...
Je ne pouvais plus réfléchir. Je ne comprenais plus. J'étais à bout. Complètement vidé. Et j'avais peur.
Mais qu'est-ce que j'ai fait ?
- Non...non...non...non, non, non, non... Je n'ai pas... Je ne t'ai pas... A l'aide... J'en peux plus, aidez-moi... Aidez-moi...

Lorsque j'ai ouvert les yeux, il n'y avait plus personne. Ni ma mère, ni mon père, ni Hinata, ni Haru. J'étais seul, allongé sur mon lit, dans ma chambre en train de pleurer et de me tordre de douleur. Elle n'avait pas disparue même après m'être réveillé. Je n'en pouvais plus. Mais je pris une décision. Depuis que les crises avaient commencé, j'avais envisagé cette possibilité. Mais je m'étais résolu à ne pas y avoir recours, me persuadant que ce n'était que temporaire, sans grande importance. Mais c'en était trop. Je ne pouvais plus le supporter. Elles avaient dépassé depuis longtemps la limite. C'était l'ultime solution. Je me levai dans un effort qui me parut insurmontable, et me dirigeai vers la salle de bain. J'ouvris le placard à pharmacie, et cherchai le bocal brun orangé au capuchon blanc. Je le trouvai.
Antidépresseurs. Voilà. J'y suis.
Je débouchai le flacon et pris un cachet entre mes doigts. Je le levai à hauteur de ma bouche. J'eus une hésitation. Je me regardai dans le miroir. J'avais une mine affreuse. J'étais méconnaissable. Torturé. Fatigué.
Dépressif.
Je remplis mon verre d'eau et avalait la gélule, sans regret.

  

Burnt By The SunOù les histoires vivent. Découvrez maintenant