Tempête

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Je m'étais fait à l'idée qu'il fallait que je parle à Hinata. Je voulais lui dire. Que j'étais désolé. Que je ne savais plus ce que je faisais. Que je partais en vrille. Que j'avais besoin d'aide. Il était, j'en étais quasiment certain, lié d'une façon ou d'une autre à mes crises. J'avais besoin de lui pour les comprendre, parce qu'il avait été la seule personne au monde avec qui je me sois réellement bien entendu, la seule qui m'est réellement compris. Et dans cette période d'incertitude où j'avais totalement déraillé, je voulais lui montrer à quel point il était important pour moi et à quel point j'avais besoin de lui. Je voulais lui dire que j'avais tort, que je souffrais, que je me sentais seul, que je regrettais plus que tout d'être un égoïste bon à rien et que je voulais changer. Je m'étais persuadé qu'il fallait que je le fasse, que j'aille le voir pour tout lui raconter. Mais je n'en avais pas le courage.
S'il me rejetait ? S'il ne voulait définitivement plus me voir ? S'il ne voulait plus jamais jouer mes passes ?
Je devais me résoudre à envisager cette possibilité, aussi douloureuse qu'elle soit. Je ne pouvais pas le forcer. Je ne pouvais pas lui faire plus de mal que j'en avais déjà fait. S'il ne voulait plus de moi, je laisserais tomber. Peu importe que mon corps le supporte ou non, je ne chercherais pas à l'obliger. Je le laisserais m'oublier, si c'était son choix.

Nous étions samedi, à la veille du départ. Les deux semaines étaient passées, malgré les douleurs et les jours qui semblaient interminables. J'avais rejoué quelque fois. Mais jamais avec Hinata. Il ne me regardait toujours pas. Haru était toujours à mon poste. Les crises avaient continué, toujours aussi pénibles, toujours aussi puissantes. La seule chose qui avait changé c'était que Yachi semblait me surveiller en permanence. J'évitais souvent son regard et je priais qu'elle ne dise rien. Je devais le faire moi-même.
Le soleil était de plomb. Les cigales criaient, cachées parmi les arbres. On enchaînait les matchs et les entraînements, comme d'habitude. Vers quatre heure, tout les monde fit une pause, et on m'envoya chercher les bouteilles d'eau restée au frais a l'auberge. Alors que je marchais, je sentis les pas rapides de quelqu'un qui me courrait après.
- Kageyama-senpai !
Haru.
- Je viens t'aider! Tu pourras pas porter toutes ces bouteilles tout seul.
Silence.
- Et puis... Il faut que je te parle d'un truc.
- Ah bon ?
- J'ai besoin de ton aide.
Sourire sarcastique.
- Toi ? Besoin de mon aide ? Me fais pas rire.
Tu cherches à m'humilier ou quoi ?
- C'est que...
- C'est que ?
- Avec Hinata-senpai, on a... Disons... Du mal à communiquer.
- C'est-à-dire ?
- Eh bien... Il m'explique beaucoup de chose... Et en général pas de manière claire... J'ai du mal saisir ce qu'il veut que je fasse. En match, je n'arrive pas à rapidement décider quelle passe sera la meilleure, j'ai du mal à anticiper ses déplacements, je ne sais jamais régler mes passes en fonction des autres joueurs. Je n'osais pas te demander, vu que vous vous êtes fâchés... Il n'arrêtait pas de le dire que je n'ai pas besoin de tes conseils.
Ah. Il me déteste à ce point alors ?
- Mais je me sens un peu largué en ce moment. Et tu coordonnais tellement bien l'équipe...
- Alors tu es venu me demander comment je faisais ? Tu me demandes de t'apprendre c'est ça ?
- Non... En fait... J'aimerais t'aider à vous réconcilier, pour que l'équipe puisse retrouver sa dynamique.
Je n'en revenais pas. Je n'arrivais pas à intégrer ses mots tellement ils me paraissaient surréalistes.
- Tu... Tu veux que je... Retrouve mon poste ?
- Oui... Je ne pense sincèrement pas avoir le niveau pour faire tout ce que tu faisais pour l'équipe. Je ne suis pas... Aussi doué...
J'étais si heureux que j'en oubliais presque tous les tourments qui remplissaient mon esprit ces derniers temps. Mais la dure réalité me rattrapa bien vite et mon sourire s'effaça aussitôt.
- Mais il ne voudra jamais. Il ne veut plus me voir. Il ne me regarde même plus. Il me déteste.
- En fait... Je... Je ne pense pas qu'il te déteste. Il est vraiment en colère, c'est sûr. Mais je pense plutôt qu'il attend que tu fasses quelque chose. Que tu te rendes compte.
- Hein ? Me rendre compte ? De quoi ? Qu'est-ce que ça veut dire ?
- Je... Euh... Je me mêle sûrement de ce qui ne me regarde pas mais... Il est en colère par rapport à toutes ces choses que tu fais et que... Enfin tu vois ?
Non. Je ne voyais pas. Je ne comprenais rien au charabia de ce mec.
Sûrement en voyant mon visage confus, il se reprit et s'excusa encore :
- Ah... Je suis désolé... J'ai dû me tromper... On m'a toujours dit que j'avais tendance a un peu trop interpréter...
Il eut un petit rire gêné puis redevint sérieux.
- Quoi qu'il en soit, je suis vraiment prêt à vous aider à vous réconcilier. Ce n'est pas spécialement pour toi ou pour Hinata-senpai mais pour le bien de l'équipe. Vous étiez les piliers de cette équipe. Et sans vous... C'est un peu cahotique...
J'essayais de digéré ce que je venais d'apprendre au cours de cette discussion. Primo, Haru n'était pas un sale type et était carrément prêt à me rendre mon poste et me réconcilier avec Hinata. Deuxio, j'étais encore considéré comme un membre important de l'équipe donc j'avais encore une chance de récupérer ma place de se côté-là. Et tercio, Hinata était potentiellement d'accord pour le pardonner en contrepartie de quelque chose. Par contre, pour ce "quelque chose", le mystère restait entier. Il fallait que je "me rende compte".
Ouais... Pas très clair tout ça...
- Oulah! On ferait mieux de se dépêcher! Sinon, on va encore de faire disputer...
Les glacières dans les bras, nous retournions vers le terrain où on s'entraînait. Soudain une silhouette se dessina au loin, se rapprochant de plus en plus vite. Quelqu'un courait dans notre direction.
Hinata.
- Ah! Hinata-senpai ! Qu'est-ce que tu fais là ?
- Oh, j'ai oublié ma serviette dans la salle de bains. Je monte la chercher j'arrive tout de suite!
Quelle tête en l'air celui-là... C'est vrai qu'il y en avait une encore sur l'étagère alors que tout le monde était parti. Si j'avais su que c'était la sienne je...
Soudain une pensée terrible me traversa l'esprit. En m'imaginant la scène, je me revoyais préparer mes affaires ce matin et...
Mes antidépresseurs.
J'avais complétement oublié de ranger mes antidépresseurs. Je les avait laissé sur le lavabo. A la vue de tous.
Je laissai tomber brusquement mon chargement pour me ruer vers la salle de bains.
Non, non, non, non, non ! Il ne peut pas savoir, il ne peut pas le découvrir. Pas lui, pas maintenant. Je ne lui ai pas encore dit. Pas encore...
J'ouvris la porte dans un grand fracas, paniqué, haletant, transpirant. Mais trop tard. Il était justement en train d'examiner la petite boîte orange presque vidée de toutes ses pilules, intrigué. Puis il détourna ses yeux pour me regarder moi. Oui, moi. Moi qu'il avait évité depuis tout ce temps, il me scrutait a present dans le blanc des yeux. Mais le regard que j'attendais, que j'espérais après ces journées et ces nuits sans fins remplies de doutes et de souffrances, ce n'était pas celui-là. J'attendais un regard qui me dirait qu'il me pardonnait, que tout pourrait reprendre comme avant. Pas ce regard. Celui-là me transperçait, me mettait à nu, me brisait. Il me disait qu'il ne comprenait pas. Il me criait "pourquoi". Il le criait si fort que même avec sa bouche sa voix n'aurait pu être plus claire et résonner si violement dans ma tête.
Et mon sang et mon coeur semblèrent se figer sous ma peau. Avant de repartir à vitesse folle, me brûlant le cerveau et les  entrailles. Et mon corps se remit à faire des siennes. La chaleur, la douleur, le désespoir, les regrets, les chagrins, tout me submergea d'un coup, comme une vague déferlante et inarrêtable. Et déjà mon esprit et ma raison était emportés par sa force. Elle balayait mon courage. Elle arracha tout ce à quoi j'aurais pu encore m'accrocher. Je n'avais plus rien. Je n'étais plus rien. J'étais seul. Sans espoir, sans avenir, sans envie de vivre plus longtemps dans cette mer aride, avide de souffrances et de peines. Je ne voulais plus lutter. J'avais trop souffert. Je ne voyais plus le bout du tunnel. J'avais coulé tellement profond que la surface m'était inaccessible. Le soleil ne m'atteignait plus. Je sombrais dans l'eau noire, sans air et sans lumière. Je m'enfonçais, brûlé, suffoquant, dans les profondeurs abyssales, dans les limbes du néant. Plus rien ni personne ne pouvais me sauver désormais. Il ne me restait plus qu'à attendre. Attendre que la mort vienne me prendre, pour me conduire loin de ce monde dont je me sens depuis bien trop longtemps prisonnier. 

Burnt By The SunOù les histoires vivent. Découvrez maintenant